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fit monter les larmes aux yeux. Elle voulut interrompre la comtesse. — Pourquoi de tels discours quand la fièvre tombait ? On aurait encore, grâce à Dieu, de longs jours à vivre dans la bonne maison de Rambouillet…

— Laisse-moi donc tranquille ! s’écria Mme d’Orbigny, je sens bien ce qui se passe en moi ! Tous les médecins de la terre n’y pourront rien… Je suis perdue… Ne pleure pas,… La gaieté te va si bien… Je ne regrette que vous, mes enfans !

Mme d’Orbigny se pencha tout au bord du lit et s’empara des deux mains de Marthe ; puis, avec un air d’autorité : — Tu es la plus jeune, mais tu es l’aînée, reprit-elle. Donc je te confie ta sœur. Ne la quitte pas… Elle est sur la terre comme l’innocent qui vient de naître… Quant à toi, j’en ai bien peur, tu ne danseras plus beaucoup ; mais j’ai toujours eu l’idée que tu avais du courage et de la persévérance. Tu les emploieras pour deux. — Puis, avec force et la main sur le front de Marthe : — Penses-y, Marie est un enfant,… Je te la donne, reprit-elle.

On entendit le bruit de la porte de la rue qu’on ouvrait.

— Voici ta sœur qui revient de l’église, ajouta Mme d’Orbigny ; embrasse-moi vite. Je ne pensais pas mourir comme cela et vous laisser dans le dénûment… Si ma filleule savait ce qui se passe, la pauvre fille ne vivrait plus… Elle est comme les enfans qui trébuchent sur le gazon,… et il n’y aura plus que des cailloux sous ses pas… Tends-lui la main… Tu réponds d’elle.

Marthe accueillit Marie par un sourire.

— Vous avez bon visage, dit Marie en embrassant Mme d’Orbigny, dont les traits étaient encore tout animés.

— Oui, répondit sa marraine, je suis plus tranquille.

On lui administra les sacremens dans la nuit, et elle rendit l’âme au petit jour. Il fallut emporter Marie de sa chambre ; elle était comme un pauvre être frappé de la foudre.

Au moment du plus grand trouble, un homme entra dans la maison. La Javiole l’aperçut, elle courut à lui frémissante comme une louve, et le saisissant par la main : — Ah ! vous voilà, monsieur ! S’écria-t-elle ; venez voir ce que vous avez fait ! — Et avec une force irrésistible elle l’entraîna dans la pièce où reposait Mme d’Orbigny. — Regardez ! reprit-elle en le poussant vers le lit auprès duquel veillait Marthe.

M. d’Orbigny pâlit à la vue de ce corps tout blanc ; ses traits se contractèrent. — Ah ! dit-il, elle m’a bien aimé !…

La Javiole fit un pas vers la porte, et la poussant : — Si je restais, s’écria-t-elle d’une voix rauque, je ferais un malheur !

Sans même tourner la tête, l’étranger s’approcha du lit sur lequel Mme d’Orbigny était couchée. Il avait la tête nue. Marthe le contem-