Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révélant la part qu’il avait eue dans l’éviction du Piémont des affaires de Rome à cette époque. Je ne puis dire qu’un mot, c’est que si la pensée de Gioberti se fût réalisée, bien des difficultés eussent été évitées, même pour la France, qui sait bien comment on entre à Rome, mais qui ne sait pas encore comment on en sort ; d’un autre côté, restaurateur du pape, réorganisateur de l’Italie, contenu par l’instinct d’autonomie qui vivait encore, peut-être le Piémont eût-il été conduit à un rôle très différent.

Quant aux difficultés d’un ordre religieux nées bientôt du mouvement même des choses, je ne voudrais pas me perdre dans les détails. Qu’on se représente seulement le Piémont au moment où il se transformait en état libéral ; le Piémont arrivait à une nouvelle vie politique, hérissé en quelque sorte de juridictions exceptionnelles. Dans l’île de Sardaigne, tous les intérêts étaient paralysés par un système de dîmes ecclésiastiques inégales, confuses, et d’autant plus onéreuses qu’elles étaient livrées souvent à des fermiers. L’organisation religieuse ne laissait pas elle-même d’avoir des côtés par lesquels elle touchait à l’organisation civile, et qui étaient faits pour frapper l’attention. Le Piémont, état de cinq millions d’âmes, sept fois moins grand que la France, avait quarante et un diocèses ; la petite île de Sardaigne seule en comptait douze, et de ces diocèses, un avait six paroisses, un certain nombre ne dépassaient pas trente. Quelques évêques avaient plus de 100,000 francs de revenu, d’autres avaient moins de 10,000 francs. Une partie du clergé était largement dotée, l’autre vivait dans le dénûment ; plus de six cents communautés religieuses existaient en outre avec des propriétés considérables, et quelquefois on ne comptait dans les maisons d’un même ordre que deux ou trois religieux. Il y avait, au dire des autorités les plus respectées, des ordres « d’où l’esprit de vie s’était retiré. » Évidemment le Piémont, en élevant ses institutions par la liberté et en faisant pénétrer l’esprit moderne dans son organisation, ne pouvait éluder la pensée d’accomplir quelques réformes utiles à l’église elle-même. Qu’a-t-il fait cependant ? A. quoi a-t-il touché ? Il n’y a eu rellement que deux mesures législatives sérieuses: l’une abolissant la juridiction ecclésiastique, comme toutes les autres juridictions spéciales qui étaient tombées par la promulgation du statut, — l’autre supprimant un certain nombre de communautés religieuses, affectant leurs propriétés au bien commun de l’église, sous une administration entièrement distincte de l’état, et assurant le sort des religieux appartenant aux ordres supprimés : c’est ce qu’on a nommé la loi des couvens. C’était, dit-on, le devoir du Piémont de s’entendre avec Rome, de ne rien faire sans le concours du saint-siège. J’admettrai bien que, dans ces négociations difficiles, transmises de main en main, le Piémont a pu montrer quelquefois une certaine