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de plus; car si c’est le droit et le devoir du père des fidèles d’être le père pour tous les pays, de proclamer sa neutralité dans les luttes humaines, c’est assurément une chimère de prétendre persuader à trois millions d’Italiens qu’ils doivent rester neutres dans une guerre de nationalité et d’indépendance. En un mot, ce n’est qu’une autre face de cette situation périlleuse et extrême que s’est faite le saint-siège par une politique au moins malheureuse, en multipliant les froissemens pour l’esprit national aussi bien que pour l’esprit de progrès civil.

Ce n’est pas que plus d’une fois la nécessité d’échapper à la fatalité de ces luttes mortelles n’ait été entrevue et démontrée à Rome comme en Europe. L’histoire de ces quarante années est une longue tradition d’efforts, de conseils, d’avertissemens et en quelque sorte de sommations des événemens ou de trêves successives. Il y a eu, j’ose le dire, en Europe, un désir ardent de sauver la royauté temporelle de Rome : il s’est formé tout un parti fait pour rallier les esprits prévoyans et généreux et s’offrant à une papauté rajeunie, — le parti des réformes; mais c’est ici surtout qu’on voit comment, à côté des influences salutaires et quelquefois des velléités des pontifes eux-mêmes, il y a une politique insaisissable, mystérieuse, qui oppose à tout le poids de son immobilité, neutralise tout et survit à tout. C’est au lendemain même de 1815 que cette lutte commence. La cour de Rome se personnifiait alors en deux hommes, le pape Pie VII et le cardinal Consalvi, qui avaient vu face à face trop d’événemens et avaient eu trop à traiter avec les révolutions de ce monde pour ne point sentir la nécessité d’adapter un peu l’administration romaine à un temps nouveau. Les souffrances avaient moins aigri qu’éclairé Pie VII. Consalvi, l’illustre ami de la duchesse de Devonshire et du prince-régent d’Angleterre, était un esprit ferme, actif, libre de préjugés vulgaires. L’un et l’autre se mirent à l’œuvre, et ils firent le motu proprio du 6 juillet 1816, qui renouvelait l’administration, les municipalités, les impôts, la justice criminelle, qui promettait un code civil, mettait des conseils locaux à côté des délégats des provinces, et réduisait les prélats à être moins de petits souverains irresponsables que des fonctionnaires. C’est peut-être l’heure la plus favorable qu’il y ait eu pour le saint-siège dans ce siècle, car alors les concessions étaient libres, spontanées; l’inquiétude dans les populations n’était pas la révolte. Qu’arriva-t-il cependant? Pie VII était à peine mort que l’œuvre à peine essayée disparaissait; Consalvi tombait en disgrâce; la politique romaine devenait une réaction aveugle avec Léon XII, tenace ennemi de toute nouveauté civile, partisan absolu du vieux régime pontifical, et c’est là réellement que la question se noue, dans cette résurrection de tous les abus, dans les obscures et inflexibles compressions du cardinal Ri-