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mières annexions, en attendant que le royaume unique devînt le mot d’ordre d’une étape nouvelle. Ce n’est pas même l’enthousiasme, si l’on veut, qui a scellé l’alliance avec le Piémont : c’est l’esprit politique, c’est la réflexion. De là le caractère de cette politique italienne que rien n’a pu décourager dès que la liberté lui était laissée, et qui a marché pas à pas à son but tantôt par l’intrépide sang-froid de quelques hommes, tantôt par la foudroyante audace de Garibaldi. Par une combinaison mystérieuse et imprévue, cette unité vers laquelle l’Italie s’est précipitée, c’est l’Autriche, je le montrais tout à l’heure, qui l’a lentement, obscurément préparée; c’est la paix de Villafranca qui en provoquait l’explosion méthodique, non plus par la voie des perturbations démagogiques, mais par la voie d’agrégations successives à une monarchie qui avait l’avantage de lui offrir un cadre d’organisation, un drapeau, en même temps qu’elle avait pour elle le prestige des traditions, le lustre de l’esprit militaire, l’attrait des institutions libérales, la loyauté de son roi, l’habileté de ses hommes d’état.

Et maintenant, dans cette carrière où le nord et le midi de l’Italie se rejoignent subitement, que la révolution italienne passe par-dessus des souverainetés reconnues et des frontières visibles à l’œil des congrès; que le Piémont surtout, dans les extrémités récentes de sa politique, ait fait souffrir le droit public, le sentiment des procédés et des convenances diplomatiques, ni M. de Cavour, qui est la tête délibérante et inventive de cette révolution, ni Garibaldi, qui en est le feu incompressible, ni le roi Victor-Emmanuel, qui en est le représentant couronné, ne songeront à le nier, je pense. Que des puissances régulières dégagent leur responsabilité par des protestations ou par le rappel de leurs ambassadeurs, rien n’est plus simple; c’est ce que la France elle-même a fait lorsqu’elle a voulu marquer son dissentiment avec la politique piémontaise en donnant à son armée l’ordre de se replier de la Lombardie au moment où l’annexion de la Toscane s’accomplissait, de même que plus récemment elle a rappelé son ministre de Turin, lorsque l’invasion des Marches et de l’Ombrie s’est accomplie. Dans une situation irrégulière, tout est irrégulier, je le veux. Il y a dans ces événemens étranges toutefois un caractère exceptionnel et supérieur qu’on ne peut méconnaître à travers la brusquerie des actes que l’esprit diplomatique désavoue par respect pour les règles établies. N’est-ce point une vraie puérilité d’appeler sans cesse le Piémont un étranger pour l’Italie, d’assimiler ses interventions aux interventions de l’Autriche, de les représenter comme le déchaînement violent d’une ambition de conquête allant à l’assaut des indépendances légitimes? Il y a dans ce qui se passe au-delà des Alpes une révolution de nationalité