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festations, en songeant aux rapports étroits qui les unissent et qui ont pu faire croire à des relations de cause à effet, il me paraît impossible de ne pas les rattacher à une cause unique. En reportant notre attention sur notre for intérieur, en constatant les faits de conscience que chacun de nous trouve en lui-même, il est également impossible de ne pas admettre que cette cause est en harmonie avec l’être entier, qu’elle a son individualité propre, comme le corps dont elle règle les actes. Voilà comment les sciences naturelles, la zoologie conduisent à reconnaître l’existence de ce principe, de ce quelque chose qu’on a désigné sous le nom d’âme humaine; mais elles ne sauraient nous mener plus loin. Au-delà, l’expérience et l’observation nous feraient défaut. Nous devons donc laisser à qui de droit le soin de rechercher quelles peuvent être la nature de cette âme, son origine ou sa destinée, et à chacun la liberté de choisir, parmi les nombreuses solutions proposées pour ces difficiles questions, celle qui s’accorde le mieux avec son cœur ou sa raison.

En résumé, l’homme est pesant et soumis aux forces physico-chimiques comme les corps bruts; il est organisé comme les végétaux et les animaux; comme ces derniers, il sent et se meut volontairement. Dans son être matériel, il n’est donc autre chose qu’un animal perfectionné à certains égards, moins parfait sous d’autres rapports que beaucoup d’espèces animales. Son intelligence, bien plus complète et incomparablement plus développée, l’élève infiniment au-dessus de tous les animaux, mais ne suffit pas à l’en séparer. S’il est un être à part, s’il doit former un règne, c’est que des facultés d’un ordre tout nouveau se manifestent en lui. Cette conclusion ressort de l’examen de tous les autres règnes, examen fait exclusivement au point de vue scientifique, et sans qu’on ait abandonné un seul instant la méthode et les procédés des naturalistes. Si je ne me trompe, il y a dans les résultats de cette étude, indépendamment des conséquences scientifiques qui en découlent, quelque chose qui répond à nos plus nobles aspirations. L’homme s’attribue volontiers la domination; il aime à se proclamer souverain légitime de toutes choses à la surface de ce globe. Et de fait aucune créature ne saurait lui disputer un empire qui chaque jour s’étend et grandit. Eh bien! il est satisfaisant de voir les caractères anthropologiques sanctionner, ennoblir cet empire en plaçant à côté de la notion de droit, qui ressort de la supériorité intellectuelle, la notion de devoir, qui découle de la moralité et de la religiosité.


A. DE QUATREFAGES.