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aveugle et fatale. Parmi ces animaux d’ailleurs, et d’un groupe à l’autre, on constate des inégalités très grandes. A ne prendre que les vertébrés, nous voyons que les oiseaux, bien supérieurs aux poissons et aux reptiles, le cèdent de beaucoup à certains mammifères. Trouver au-dessus de ces derniers un autre animal d’une intelligence très supérieure n’aurait en réalité rien d’étrange. Il n’y aurait là qu’une différence du moins au plus; il n’y aurait pas de phénomène radicalement nouveau.

Ce que nous venons de dire de l’intelligence en général s’applique également à sa manifestation la plus haute, au langage. L’homme seul, il est vrai, possède la parole, c’est-à-dire la voix articulée ; mais deux classes d’animaux ont la voix. Ici comme chez nous, il y a production de sons traduisant des impressions, des idées, et compris non-seulement par les individus de même espèce, mais encore par l’homme lui-même. Le chasseur apprend bien vite ce qu’on a appelé d’une manière figurée le langage des oiseaux et des mammifères. Sans être bien expérimenté, il distingue sûrement les accens de la colère, de l’amour, du plaisir, de la douleur, le cri d’appel, le signal d’alarme. Ce langage est bien rudimentaire sans doute; on pourrait dire qu’il se compose uniquement d’interjections. Soit, mais il suffit aux besoins des êtres qui l’emploient et à leurs rapports réciproques. Au fond, diffère-t-il des langages humains soit par le mécanisme de la production, soit par le but, soit par les résultats? Non. Encore ici il y a donc un progrès, un perfectionnement immense, mais il n’y a rien d’essentiellement nouveau[1].

Enfin ce que nous appelons les facultés du cœur, facultés qui tiennent à la fois de l’instinct et de l’intelligence, se manifeste chez les animaux tout aussi bien que chez l’homme. L’animal aime et hait. On sait jusqu’où quelques espèces poussent le dévouement à leurs petits; on sait comment entre certaines autres il existe une répulsion instinctive qui se traduit, à chaque occasion favorable, par des luttes acharnées et mortelles; on sait comment l’éducation développe ces germes et nous fait découvrir dans nos animaux domestiques des différences individuelles vraiment comparables à celles qui nous frappent dans l’humanité. Tous, nous connaissons des

  1. En m’exprimant comme je viens de le faire, je n’ai pas à craindre, je pense, que l’on rapproche mes opinions de celles qu’ont émises récemment quelques naturalistes et anthropologistes américains, en particulier M. Agassiz. Ce savant naturaliste a assimilé les cris des animaux aux langues humaines au point d’affirmer qu’il serait facile de faire dériver les grognemens des diverses espèces d’ours les uns des autres de la même manière et par les mêmes procédés que les linguistes emploient pour démontrer les rapports du grec avec le sanscrit. A peine est-il nécessaire de protester contre ces idées, qui me semblent avoir bien peu de chances d’être adoptées. L’homme, ayant seul la parole, peut seul avoir une langue dans le sens propre du mot.