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a antagonisme entre la science et la religion. J’ai souvent dans la Revue exprimé la conviction contraire. Oui, la foi n’a pas d’appui plus sûr qu’une connaissance aussi complète que possible de cet univers, de ses phénomènes, de ses lois. Au besoin, d’illustres exemples justifieraient mes paroles ; mais ces exemples, nous les rencontrerions dans des communions très diverses. La religion et la science, qui, chacune dans sa sphère, répondent à nos besoins les plus nobles, à nos instincts les plus élevés, ne convergent et ne s’unissent que par ce qu’elles ont de plus général, de plus grand. Dans ces hautes régions de l’intelligence et du cœur, les points de discussion disparaissent devant les vérités éternelles. Voilà pourquoi le protestant et le catholique, le Juif et le mahométan, ont pu trouver dans la science de quoi fortifier chacun ses diverses croyances, semblables au moins en cela qu’elles rapportent au Créateur l’hommage de la créature.

D’autre part, on voit combien les hommes qui ont la prétention de parler uniquement au nom de la philosophie et de la raison, combien les libres penseurs doivent se méfier de la répugnance instinctive que leur inspirent tout fait, tout témoignage, toute doctrine qui se présentent à eux associés à quelque idée dogmatique. En cédant trop facilement à ce sentiment irréfléchi, ils ont trop souvent mérité les mêmes reproches que leurs adversaires. Eux aussi se sont montrés absolus et intolérans ; ils ont pour ainsi dire érigé en dogmes leurs négations les plus hasardées, et compromis la cause qu’ils défendent. À eux aussi la science, seul juge irrécusable et compétent, a donné de sévères leçons dont ils n’ont pas toujours su profiter.

Ces réflexions s’appliquent d’une manière toute spéciale aux débats relatifs à l’origine une ou multiple des groupes humains. Après avoir régné si longtemps sans conteste, l’antique dogme d’Adam a rencontré de nombreux adversaires. Chose assez remarquable, c’est au nom même de la Bible que ce dogme a été d’abord attaqué, et il ne sera pas inutile de résumer ici les argumens que dès le XVIIe siècle on faisait valoir contre lui. En 1655, La Peyrère, gentilhomme protestant attaché au prince de Condé, publia un traité de théologie fondé tout entier sur l’existence d’une population humaine antérieure à Adam[1]. Dans ce livre fort curieux et remarquable pour l’époque, La Peyrère s’efforce de démontrer que l’histoire d’Adam et de ses descendans n’est autre chose que le commencement de l’histoire des Juifs seuls, et non de celle des hommes en général. Partant des deux récits de la création qui se trouvent

  1. Systema theologicum ex preadamitarum hypothesi. Pars prima. — La seconde partie ne parut pas sans doute par suite des persécutions que ce premier ouvrage valut à l’auteur.