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parlement et fait adopter cette année un bill dont le principe est un droit d’hypothèque attribué soit au propriétaire usufruitier, soit au fermier, pour la plus-value qu’ils donneraient à la terre. En stricte économie politique, le bill de M. Cardwell est attaquable. Peut-être aurait-il mieux valu pour toutes les parties que la loi ne se superposât point aux contrats privés, et qu’on eût laissé les mœurs les modifier. L’appel du fermier au magistrat, en cas de refus du propriétaire, et la décision souveraine donnée au magistrat en matière d’amélioration agricole, sont peut-être aussi ce qu’on appellerait en France du socialisme. Les constatations exigées à différentes périodes rendront la mesure plus féconde pour les tribunaux que pour l’agriculture. Les avantages politiques effacent ces inconvéniens, et M. Cardwell s’est montré digne élève de sir Robert Peel en considérant les hommes à travers les choses. Il s’agissait de donner à l’Irlande un témoignage de sollicitude, et c’est ce qu’il a fait; mais un argument enlevé à une passion ne saurait la détruire, et la question renaîtra sous une forme ou sous une autre. Au fond, le mal qui travaille l’Irlande, c’est la situation économique du moyen âge en lutte contre les nécessités modernes.

Cette terre n’est pas de celles qui se courbent tranquillement sous le malheur. Quand l’Irlande souffre, elle se retourne contre l’Angleterre, elle l’attaque ou l’accuse. Toutes les questions sociales, économiques ou religieuses deviennent des passions nationales. Comme l’Irlande est unie à l’Angleterre, et comme elle souffre tandis que l’Angleterre prospère, il est impossible de ne pas se demander si la liberté anglaise convient à l’Irlande, et s’il est bon pour l’Irlande d’être unie à l’Angleterre. On n’y voit d’ordinaire qu’une question de force: qu’on me permette d’y trouver l’intérêt, le repos et le bonheur futur de l’Irlande.

La liberté anglaise, c’est l’indépendance de l’individu vis-à-vis de l’état et sa soumission à la loi seule. L’indépendance de l’individu crée l’indépendance des paroisses, l’indépendance des comtés et les libertés politiques. Il n’existe pas d’administration générale. Chaque homme et chaque portion de territoire se gouvernent à leur gré sous la domination de la loi. Aucune autre nature de liberté ne laisse une égale indépendance, aucune n’est par conséquent mieux appropriée à la situation de l’Irlande. Si l’on doute, c’est que l’on juge les effets de la liberté anglaise par ceux de l’oppression anglaise. Tandis que l’oppression d’une société qui se gouverne elle-même est la plus dure de toutes les oppressions, sa liberté est la plus grande de toutes les libertés. Pas plus que l’Anglais, l’Irlandais ne supporterait d’être gouverné et administré. On ne se figure pas les wild Irish attelés serré au char de l’état, contraints à mesurer