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et mouillés, le nez un peu relevé, ce petit nez à la Roxelane pour lequel le XVIIIe siècle a crayonné tant de pastels et rimé tant de vers, la bouche fraîche et retroussée des coins, les narines roses et mobiles, un menton à fossette, les mains irréprochables et potelées, quelque chose de sensuel et de friand dans l’air du visage. Ses beaux bras ronds faisaient plaisir à voir. Mignonne et paresseuse, elle avait, comme sa sœur, un grand air de jeunesse. À trente-huit ans, elle ne paraissait pas en avoir plus de vingt-cinq. L’éclat de ses épaules donnait l’idée de la neige sur laquelle passe un rayon de soleil. Mariée fort jeune à un gentilhomme du Poitou, elle n’avait pas été fort heureuse en ménage. M. Le comte d’Orbigny était très aimable, beau cavalier, grand chasseur, charmant à table, vif, alerte, plein d’audace et d’entrain ; il aurait certainement fait belle figure à la tête d’une compagnie d’aventuriers ou même encore parmi les courtisans de l’Œil-de-Bœuf et de Marly. Malheureusement, comme il le disait lui-même, il était né cent ans trop tard. Sur le pavé de Paris, il n’avait fait que des sottises. Le plus clair de sa fortune, qui était assez ronde, fut croqué en trois ans. Aurélie, qui ne pouvait se défendre de l’aimer, lui aurait certainement pardonné d’entamer sa dot, si le comte n’avait eu le tort de joindre à ses prodigalités de toute sorte des peccadilles où la galanterie avait plus de part que la chasse et le jeu. La tête blonde d’Aurélie s’échauffa ; la famille intervint, le comte le prit de haut, et, poussée à bout malgré les murmures de son cœur, la comtesse permit que la séparation fût prononcée. Libre, le gentilhomme poitevin vécut en garçon, tandis que sa femme, pareille à une colombe blessée qui cherche l’abri des bois, se réfugiait à Rambouillet, où, du matin au soir, elle soupirait et se demandait comment elle avait eu le courage de s’éloigner d’un cavalier qui baisait si tendrement la main de sa compagne.

Un temps se passa. La famille faisait bonne garde autour de Mme d’Orbigny, qu’on savait prompte aux attendrissemens, et l’empêchait de faiblir. Un matin, le comte, traqué par une meute de créanciers, partit subitement pour l’Amérique. Mme d’Orbigny pleura beaucoup. Le bruit se répandit plus tard que le comte était mort en lointain pays, et on n’en parla plus. Seule, la comtesse s’absorbait dans la contemplation d’une miniature qui représentait le visage noble et souriant de l’ingrat qui l’avait trahie et qu’elle aimait.

Douze ans après, un matin, au moment où Mme d’Orbigny venait de quitter son confesseur, car depuis sa séparation son cœur, sevré d’amour, s’était adonné à la dévotion, la Javiole entra tout effarée chez sa maîtresse, et lui annonça qu’un étranger demandait instamment à lui parler. — Quel étranger ? dit Mme d’Orbigny. — Un étranger grand comme notre bedeau, un carabinier sans casque enfin, et