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le perfectionnement de notre langue qui est notre principal souci, c’est le désir d’attraper la ressemblance, d’exprimer la physionomie vraie du modèle, de lui rendre, sous une nouvelle forme, le mouvement et la vie. Aussi, bien que les meilleures traductions écrites par nos contemporains ne conduisent plus leurs auteurs à l’Académie, elles auront peut-être en définitive un succès plus durable que celles des d’Ablancourt et des Marolles. Fidèles et expressives, profitant des ressources agrandies de notre idiome et des lumières de la critique, habiles à reproduire la simplicité des temps primitifs et l’élégance des âges cultivés, sachant en un mot se conformer aux lois qui résultent de la réalité même et substituer l’art vrai à la convention oratoire, elles appartiennent, on peut le dire, iv ce mouvement de rénovation historique qui sera un des titres les plus glorieux du XIXe siècle.

Assurément, si un nouvel abbé Goujet s’amusait à cataloguer, à examiner, à comparer entre elles toutes les traductions d’auteurs grecs et latins publiées seulement depuis une quarantaine d’années, il en pourrait signaler un grand nombre dont le succès est assuré pour longtemps. Sans parler du Cicéron de M. Victor Leclerc et du Tacite de M. Burnouf, combien d’études excellentes composées par de jeunes maîtres! Citer M. Pessonneaux, à qui l’on doit une version pure et harmonieuse de Virgile, M. Talbot, qui a rendu avec un égal bonheur la vivacité de Lucien, la grâce de Xénophon, la tendresse de Térence; M. Cass-Robine enfin, qui a traduit Horace avec une fidélité hardie au moment même où M. Patin en donnait une traduction si savamment composée, et M. Jules Janin une transposition si spirituelle; citer ces noms, disais-je, c’est rappeler les progrès d’un art qui recule, s’il n’avance, car il est tenu de mettre à profit tous les perfectionnemens de la critique et de l’histoire littéraire. Parmi ces interprètes du génie antique, une place particulière est due aux écrivains qui essaient de traduire les poètes dans cette langue des vers qui est une si grande partie de leur charme. Il y a une dizaine d’années, un jeune professeur de l’Université, M. Eugène Fallex, avait donné une traduction en vers du Plutus d’Aristophane; ses vers étaient francs, nets, incisifs, et l’on voyait que l’auteur, pour traduire le maître de l’antique comédie, avait étudié avec amour les maîtres de la comédie française. Encouragé par le succès de cette première tentative, M. Fallex a essayé d’assouplir encore son style, afin de nous rendre la douce gaieté des Adelphes de Térence; puis, revenant à Aristophane, il a entrepris de reproduire en vers toutes les variétés de son inspiration comique.

Mais quoi ! traduire Aristophane ! le traduire tout entier en des vers joyeux et brillans! Si l’on fait œuvre de science, oui, sans doute, c’est l’Aristophane complet qu’il faut donner; ses énigmes et ses effronteries, ses allusions perpétuelles et ses cyniques peintures ne sont-elles pas pour la critique de précieux documens? Si vous le traduisez pour être lu du public, si vous n’écrivez pas pour quelques savans, mais pour les Français du XIXe siècle, supprimez ces longueurs, effacez ces souillures, détachez de l’œuvre tumultueuse du poète les tableaux éternellement vrais qu’elle renferme : vous aurez alors le grand inventeur comique, l’imagination audacieuse et sensée, le bouffon dont la gaieté bruyante cachait des pensées si profondes, en un mot celui dont Platon disait : « Les Grâces, cherchant dans le monde une demeure impérissable, trouvèrent l’esprit d’Aristo-