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nationalité intéressante et trop peu connue. Le nom de la Finlande a retenti, il est vrai, en Europe pendant la guerre d’Orient, alurs que nous pouvions penser que nos soldats et nos marins, de concert avec la Suède, allaient réparer, en partie du moins, l’erreur de Tilsitt. Ce que nous avons fait connaître ici même des belles poésies de Runeberg[1] a séduit, nous le savons, un certain nombre d’esprits, et, à côté de ce grand artiste populaire, nous avons annoncé que la poésie nationale nous offrirait tout un cycle de poèmes antiques conservés depuis le paganisme par la seule tradition orale, formant aujourd’hui, écrite seulement depuis 1830, une magnifique épopée de vingt mille vers au moins[2]. C’en était assez pour attester chez le peuple finlandais un grand sentiment poétique et d’harmonieux rapsodes. Ce même peuple avait montré en 1809 ses sympathies politiques; il avait résisté avec un admirable courage aux Russes, à qui on l’avait livré; on en savait suffisamment enfin, de ce côté encore, pour désapprouver en 1854 les ravages exercés par les navires anglais sur ses côtes, au risque d’aliéner un allié naturel et un ami décidé.

Voici pourtant qu’à en croire certains organes semi-officiels parlant au nom de la Russie, il existe à peine une nationalité finlandaise méritant d’être nommée, ou bien cette nationalité n’est pas de celles à qui il importe en quelque chose d’être informée des grands changemens qui peuvent survenir en Europe : une paternelle censure doit lui mesurer l’instruction, et, par le temps qui court, on ne lui devra pas parler, par exemple, des affaires d’Italie, qui concordent mal (ce seraient les expressions mêmes du haut fonctionnaire qui gouverne cette censure) « avec les principes d’ordre, de moralité et de sentiment du devoir convenant à un peuple obéissant! » Il existe à ce sujet une curieuse circulaire attribuée à M. Le comte de Berg, gouverneur-général de la grande-principauté de Finlande, et dont nous croyons pouvoir assurer l’authenticité. Les feuilles suédoises, dont l’attention ne cesse pas d’être dirigée vers la Finlande, en ont donné des fragmens, qui méritent une large publicité. Voici ceux que nous apporte la feuille suédoise Dagligt Allehanda (13 novembre) :

«J’ai vu avec un véritable regret que les journaux publiés en Finlande pour le peuple ne répondent qu’imparfaitement à leur mission, en ce que trop souvent ils s’occupent de sujets qui ne peuvent être pour le peuple d’aucune utilité, et en négligent d’autres qui contribueraient à éclairer et à élever les classes inférieures. En conséquence, j’indiquerai ici brièvement les différens objets sur lesquels pourrait s’exercer le talent de chaque rédacteur en particulier. On pourrait vanter au peuple la vie du foyer, la bonne conduite et l’économie,... l’instruire des premiers soins à donner aux enfans, l’ignorance générale sur ce point important devenant une des causes principales de la mortalité dans les campagnes,... lui recommander le silence et le bon ordre pendant le service divin avec la bonne exécution du chant à l’église,... lui présenter des réflexions sur les devoirs du chrétien, sur le profit d’une

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1854 et du Ier septembre 1857.
  2. Pour donner un chiffre exact, il y en a 22,705, divisés en cinquante runor ou chants, suivant la nouvelle édition (Helsingfors, 1849, fort différente de l’ancienne.