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années de silence relatif que nous venons de traverser aient été aussi fécondes pour l’éducation politique du pays que ce régime parlementaire dont le pouvoir actuel a recueilli les fruits ? Pouvait-on voir sans tristesse et sans inquiétude les effets de l’engourdissement de la vie politique sur l’éducation des nouvelles générations ? Là où la libre vie politique, au milieu de laquelle nous sommes nés, vient à s’arrêter, on croit voir se flétrir la jeunesse des cœurs et des intelligences. « L’année a perdu son printemps, » disait Périclès en pleurant les jeunes gens qui tombèrent les premiers dans la guerre du Péloponèse. Où est notre printemps, et comment le rendre à la France sans revenir aux libertés et aux émulations de la vie publique ?

Les intérêts positifs de la vie intérieure de la France, étudiés avec un prévoyant patriotisme, demandaient donc une prompte réforme des institutions. Une telle nécessité était sans doute d’un grand poids ; cependant, comme elle ne se manifestait point par une pression immédiate sur le pouvoir, la réforme eût pu être ajournée encore. Les influences de la politique extérieure étaient plus pressantes. Un des caractères éminens de la destinée de la France est d’exercer sur la vie intellectuelle, morale et politique de l’Europe une action constante. Nous pouvons sans jactance vaniteuse nous parer de cet ascendant naturel, puisque des esprits peu prévenus en notre faveur, M. de Maistre par exemple, y ont vu un attribut que nous possédions, suivant eux, par une sorte de droit divin. Louis XIV, la révolution, le xviiie siècle, les événemens contemporains, ont constaté avec éclat cette direction que nous imprimons aux autres peuples, même à ceux qui nous sont hostiles. Peut-être le dernier exemple heureux de cette influence générale, qui était alors d’autant plus légitime qu’elle s’exerçait sans violence et par Li seule propagande de l’exemple, s’est-il produit à la veille de la révolution de 1848, lorsque la contagion de notre régime parlementaire avait gagné la plus grande partie du continent. L’Espagne, le Portugal, la Belgique, le Piémont, les autres états italiens, la Prusse, pratiquaient ou inauguraient le régime représentatif, et la Hongrie conservait, en la rajeunissant, sa vieille constitution. La révolution de 1848 empêcha la France de s’apercevoir de la puissance d’assimilation qu’elle venait de révéler, et compromit ces heureux résultats d’abord dans une perturbation générale, bientôt dans une réaction universelle ; mais le mouvement contraire aux réactions de cette époque a commencé sur le continent plus tôt que chez nous. Cette fois l’Europe a pris les devans sur la France, si bien que, depuis le diplôme autrichien du 20 octobre 1860, nous semblions exposés à demeurer seuls dans le mouvement rétrograde. Nous étions entourés en effet d’états parlementaires, et nous allions faire sur l’ensemble de l’Europe une dissonance d’autant plus choquante, qu’elle est radicalement contraire aux tendances expansives et sympathiques de notre génie national. La France a contribué à donner la liberté à bien des peuples ; notre dernier exploit en ce genre est l’émancipation de l’Italie. Or il se trouvait non-seulement que les peuples que nous avons aidés à conquérir la liberté, — Grèce, Belgique, Portugal, Espagne, —