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pour grand’chose, avouons-le, dans le nouveau tour que va prendre notre vie politique. Ce n’est point aux exigences de l’opinion qu’est dû l’amendement des institutions de 1852. Les moyens d’information, de discussion, de propagande, de discipline, manquaient en France à l’opinion : comment aurait-elle pu être et se montrer exigeante ? Cependant, à ne considérer que l’intérieur du pays, les esprits attentifs pouvaient déjà se convaincre depuis quelque temps de la nécessité d’une promptes réforme des institutions. Nous ne nous plaçons pas ici sur le terrain élevé où l’on peut revendiquer l’extension des libertés publiques comme un droit qui ne saurait prescrire pour une nation éclairée, aspirant depuis bientôt un siècle à la liberté, qui en avait longtemps joui, et qui ne l’avait perdue que par des accidens plus forts que sa volonté réfléchie. Nous ne méconnaissons pas la légitimité de cette revendication, nous n’abdiquons aucun des droits qu’elle nous assure, nous ne renonçons à aucune des restitutions qu’elle nous garantit ; mais nous n’envisageons la question, pour l’instant, que par le côté utilitaire et pratique. À ce point de vue, l’étude de notre situation intérieure démontrait la nécessité d’une prochaine réforme. Le développement des intérêts matériels exigeait visiblement une renaissance de vie politique. Il faut aux grandes sociétés industrielles et commerçantes une énergie qui ne s’acquiert que par la pratique de la liberté, une sécurité que l’on ne trouve que dans la liberté, une moralité dont la liberté seule est la garantie efficace. À une époque où les intérêts industriels et financiers occupent une si grande place et sont unis entre les divers peuples par une solidarité si étroite, comment serait-il possible à un pays aussi grand et aussi vivant que le nôtre d’être entravé ou gêné longtemps dans ce besoin d’informations et d’appréciations justes que la pleine liberté des discussions politiques peut seule satisfaire ? Ce que les chemins de fer, la navigation à, vapeur, la télégraphie électrique sont dans le monde matériel, la presse par exemple l’est dans le monde moral. La presse ne répand pas seulement les idées, ne réunit pas seulement les esprits, n’est pas seulement le plus puissant instrument d’éducation publique ; elle sert aussi les intérêts avec plus d’efficacité encore que la vapeur et l’électricité, l’était-il possible que le libre esprit pût être, sans un profond dommage, attardé à ce point qu’il fût distancé par les progrès de la matière esclave ? Le gouvernement n’exposait-il pas le pays et ne s’exposait-il pas lui-même à compromettre dans une trop longue éclipse de la liberté les ressorts de l’administration publique ? La liberté est en effet la seule école de gouvernement possible pour les hommes de notre siècle. C’est sous elle que tous les hommes politiques qu’emploie le pouvoir actuel ont fait leur apprentissage. La plupart des ministres présens sont des produits du régime parlementaire. Quand les choix du chef de l’état vont chercher des recrues dans les générations plus jeunes, ils rencontrent, comme cela vient d’arriver pour M. de Forcade-Laroquette, des hommes qui étaient nos camarades de jeunesse, et fondaient sur les leçons et les espérances du régime parlementaire leur vocation politique. Or pense-t-on que les huit