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tinguent ; il faut savoir même préférer une belle culture à la possession du sol qui la porte. Ce sont là les enseignemens qu’offre l’étude de l’économie rurale de la Flandre, et tous les pays où se retrouve la même constitution de la propriété pourraient en profiter.

L’agriculture flamande a plus d’un rapport avec celle de la Lombardie. Dans les plaines de l’Escaut et de la Lys comme dans celles du Pô et de l’Adda, l’industrie, intimement associée à la culture, a fait surgir dès les premiers siècles du moyen âge des communes fameuses dont on peut encore reconnaître la puissance dans d’admirables monumens, construits là en marbre avec toute la perfection de l’art de sculpter et de bâtir, ici avec des matériaux plus grossiers, mais plus imposans par leur masse et par leurs proportions. Les procédés agricoles se ressentent de la conformité des destinées des deux pays. Le sol n’y a été mis en valeur qu’après des travaux énormes, et il n’a donné des fruits qu’au prix du labeur incessant et des soins infinis de la multitude de cultivateurs qui se le partagent. Les pâturages qui longent le Pô ressemblent à ceux qui s’étendent le long de la Mer du Nord ; les terres de la Lombardie moyenne rappellent celles de la zone sablonneuse de la Flandre, et c’est à l’emploi de la bêche qu’elles doivent toutes les deux une partie de leur fertilité. Toutefois on ne peut poursuivre ce parallèle trop loin, car que d’avantages n’a pas la Lombardie ! Il manque à la Flandre et la soie, ce produit incomparable, et la vigne, qui donne presque sans frais une boisson très recherchée, et le maïs, dont le rendement sur une même étendue est deux fois plus fort que celui du seigle, et ces lacs, ces fleuves qui, suspendus comme en des réservoirs au-dessus des terres basses, permettent de communiquer à celles-ci une fécondité sans pareille, et ce sol actif, qui, stimulé par les rayons du soleil méridional, livre sans s’épuiser des récoltes successives de céréales. Néanmoins le cultivateur flamand est parvenu à compenser tant de désavantages par un moyen très simple qui est à la portée de tous ceux qui exploitent la terre sous tous les climats, et qui serait partout également efficace : un soin extrême à recueillir les engrais et à restituer à la terre tout ce qu’elle donne ou plutôt tout ce qu’elle prête pour les besoins de l’homme. C’est par l’emploi de ce secret trop dédaigné, malgré les avis répétés de la chimie agricole, que les Flandres sont parvenues à fournir des produits égaux à ceux des riches campagnes de Côme et de Milan.


Émile de Laveleye.