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siècles chez une population rurale qui, mieux peut-être qu’aucune autre, a conservé la langue et les usages de ses ancêtres. Une haie de buis, de houx ou d’aubépine entoure le verger où matin et soir les vaches viennent paître l’herbe égale et fine. Cet enclos est l’espace ouvert dont parle Tacite, l’ancienne terre salique que la loi franque nous représente plantée d’arbres et défendue par une haie, le domaine que l’homme libre possédait en propre au milieu des terres communes. Les traces des coutumes primitives abondent dans cette partie du pays que les Romains n’ont jamais soumise, et il n’est pas jusqu’à des enseignes d’auberge annonçant qu’on vend du mee qui ne rappellent la boisson sacrée des temps héroïques, l’hydromel que les walkyries versaient aux guerriers reçus dans la Walhalla. La maison du fermier, qui a remplacé la hutte ménapienne, est basse, sans étage, bâtie en briques et, peinte avec soin en blanc ou en couleurs claires avec des contrevens vert foncé ; l’humble chaume couvre le toit, non par économie, mais parce qu’aucune autre couverture ne préserve aussi bien les grains contre l’humidité et toute la demeure contre les excès du froid et du chaud ; un petit sentier, souvent pavé en briques, conduit à une grille en bois construite avec une certaine coquetterie ; quelques plantes d’agrément, des hortensias, des giroflées, des dahlias, égaient le devant de l’habitation, et sur les rideaux blancs qui garnissent les fenêtres se détachent les teintes vives des fleurs que les belles expositions d’horticulture de Gand mettent tour à tour à la mode. La maison contient ordinairement quatre pièces dont la plus grande sert aux repas et aux réunions de la famille ; dans la seconde, on bat le beurre et on prépare la nourriture du bétail ; les deux autres sont des chambres à coucher. Partout règne une minutieuse propreté ; les meubles anciens, le bahut, l’horloge dans sa caisse de chêne, les assiettes à fleurs peintes rangées sur le manteau de la vaste cheminée ou sur un dressoir, la table en bois blanc, tout est parfaitement entretenu, aussi bien dans la pauvre demeure de l’ouvrier rural que dans la ferme du paysan aisé. Le fer de la baratte et les ustensiles de cuivre reluisent au soleil, et les murs sont blanchis à la chaux une fois l’an, à l’époque de la kermesse.

Dans la cour, rien ne traîne, chaque chose est à sa place ; rien ne souille le vert tapis de la pelouse : la marc et le fumier qui s’étalent trop souvent ailleurs au milieu des bâtimens de la ferme sont généralement bannis, le fumier étant mis à couvert sous le toit de l’étable. Dans celle-ci, cinq ou six vaches énormes, aux pis gonflés de lait, sont l’objet des soins assidus de la fermière, qui leur donne en abondance l’été des fourrages verts, et l’hiver de la paille, du foin et une espèce de soupe chaude où l’on mêle des navets, des carottes ou des betteraves, coupés avec des tourteaux, du son, du seigle