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the et Marie parlèrent à Mme de Neulise, qui, généreusement et sans hésiter, fournit la somme qui devait sauver Valentin. La nouvelle de ce bienfait toucha profondément le jeune homme, mais ni l’âge ni la reconnaissance ne purent vaincre sa timidité ; cependant il suivait volontiers ses protectrices à Rambouillet, quand on songeait à l’y appeler.

Un ami de la famille, qui s’était retiré à Rambouillet, où il avait été attiré par la présence de Mme d’Orbigny, pour laquelle on le soupçonnait de nourrir à soixante ans d’inutiles ardeurs, prenait quelquefois à partie Mme de Neulise, qu’il accusait de manger le sec et le vert. Le vieil avoué savait compter, et son amour platonique pour l’une des sœurs ne l’empêchait pas de voir clair dans le désordre chronique de l’autre. C’était donc entre la veuve du médecin et M. Antonin Pêchereau des querelles intestines et d’interminables discussions qui ne réussissaient pas à les brouiller.

— Je vous dirai ce qui vous reste à un son près, et ce n’est pas grand’chose, disait l’avoué.

— Vous radotez, j’ai de l’argent partout, répondait la veuve.

— Où ?

— Chez des gens qui s’entendent mieux à le faire valoir que certains bourrus de ma connaissance, vilain curieux !

— Et cela vous rapporte ?

— Douze ou quinze pour cent ! des rentes magnifiques… Êtes-vous content ?

— Bien au contraire… Ces gens-là vous donneront tant qu’ils finiront par tout emporter.

Mme de Neulise haussait les épaules, faisait la moue et s’en allait en fredonnant. M. Pêchereau la suivait des yeux, inquiet, furieux et attendri. — Ah ! disait-il en frappant du talon par terre, c’est un printemps éternel, toujours des fleurs, jamais de fruits ! — Et malgré lui, mentalement il ajoutait : — Si je n’avais pas aimé la sœur, je l’aurais adorée, cette folle !

Mme de Neulise n’était pas la seule personne à laquelle le bonhomme cherchât noise. Marthe avait le regain des mercuriales qu’il réservait à sa mère. Toute occasion était bonne pour les remontrances et les leçons. — Pensez-vous, lui disait-il quelquefois, que la vie soit un éclat de rire ?… Vous la traitez comme une chanson !

— Cela vaut mieux que d’en faire une homélie, répondait miss Tempête.

— Quand vous aviserez-vous de raisonner, méchante linotte ?

— Quand il le faudra, monsieur le hibou.

— Bon ! il sera trop tard alors. Le malheur n’a pas coutume de se faire annoncer par des chambellans.

— Eh bien ! s’il cogne à la porte, on lui ouvrira.