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la mer, par de nouveaux dépôts limoneux, forme de nouveaux schorren, qui sont à leur tour conquis à la culture. Depuis le XIIIe siècle, plus de 50,000 hectares ont été ajoutés au domaine agricole sur la rive gauche de l’Escaut, et plus de 7,000 depuis 1815. C’est ainsi qu’a été comblé un grand bras de mer, le Zwyn, par où se faisait le commerce des grandes cités flamandes au moyen âge, et qui en 1213 donnait asile aux dix-sept cents navires de la flotte de Philippe-Auguste. Les eaux profondes de ce golfe, où se livraient jadis des batailles navales, sont remplacées aujourd’hui par des terres arables, de gras pâturages et de riches villages. L’entretien des digues et l’évacuation des eaux exigeant des travaux constans et faits en commun, chaque polder a son corps administratif élu par les propriétaires, et qui fait exécuter les travaux nécessaires au moyen d’une contribution répartie par hectare de superficie. Le pouvoir exécutif appartient au dykgrave (comte de la digue), assisté d’un ingénieur et d’un secrétaire, qui est d’ordinaire un homme de loi. Les terres endiguées offrent à l’observateur un double sujet d’étude : il peut y admirer comment l’homme est parvenu, par une entreprise hardie et patiente, à faire reculer l’Océan, à lui arracher une partie de son domaine ; il peut voir comment se constituent et par quels ressorts agissent les administrations indépendantes, gouvernemens en miniature, qui sont chargées de préserver les conquêtes déjà faites et de repousser l’élément terrible, toujours prêt à reprendre en ses momens de fureur tout ce qu’il s’est laissé enlever en ses jours d’insouciance.

La fécondité des polders est renommée, et ils méritent leur réputation. Les terres nouvellement endiguées produisent sans engrais des récoltes magnifiques pendant quarante ou cinquante années de suite. Pour commencer, on y sème ordinairement du colza, dont la récolte vaut de 500 à 600 francs l’hectare, puis de l’orge et du froment, dont le produit est considérable. Les polders anciens sont cultivés à peu près comme les autres parties de la zone argileuse du littoral. On fume la terre et même de temps en temps on lui accorde une année de repos. Naguère la jachère revenait tous les sept ans. Depuis les progrès qu’a faits la culture sous l’impulsion d’une demande croissante, la terre ne se repose que tous les dix ans[1].

Si la construction des digues frappe par la grandeur et la perfection des travaux qu’elles exigent, la mise en rapport des dunes n’étonne pas moins par la persévérance des soins qu’elle suppose. La

  1. La rotation la plus en usage est la suivante : première année, orge ou colza ; deuxième, féveroles ; troisième, froment ; quatrième, fèveroles ; cinquième, froment ; sixième, trèfle ; septième, froment ; huitième, pommes de terre et carottes ; neuvième, avoine ; dixième, jachère. En récolte dérobée, on sème quelques navets après l’orge, mais trop peu pour en donner largement au bétail, qui l’hiver est assez mal nourri.