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digues ; on les nomme polders. Les endiguemens, dans cette partie de la contrée, remontent aux premières tribus qui voulurent échapper à la domination étrangère. De nouvelles digues furent construites au moyen âge, quand le développement de l’industrie exigea une plus grande production agricole. La digue du comte Jean, qui protège tout le nord des deux Flandres depuis Anvers jusqu’à Damme, date du commencement du XIVe siècle. C’est vers la même époque que furent endigués les polders qui entourent Ostende. Depuis ce temps, les relais successifs de la mer ont permis à la charrue de s’avancer bien au-delà de ces premières barrières, jusqu’en des lieux où les navires cinglaient alors à pleines voiles. Il faut dire quelques mots de la manière dont s’opèrent ces conquêtes, doublement merveilleuses et par les travaux qu’elles exigent et par la fertilité extraordinaire des terres qu’elles livrent à la culture.

Au nord de la Flandre, parallèlement au bras de mer le Hont, qui reçoit l’Escaut, s’étendent à perte de vue des plages boueuses que le flot recouvre à chaque marée. Comme pendant quelques heures l’eau n’a qu’un courant presque insensible, elle dépose sur le sol une légère couche d’un limon gras et enrichi de débris de toute sorte, fucus, algues, méduses, coquillages, crustacés, détritus animal et végétal, que le mouvement des vagues arrache à l’Océan. Ces dépôts successifs, renouvelés deux fois par jour, finissent par élever le terrain au-dessus du niveau des marées ordinaires. Alors commencent à croître les plantes marines, auxquelles succèdent des graminées qui se plaisent dans cette argile féconde. Quand une partie assez étendue de la plage est ainsi transformée en prairie, on dit que le schorre est mûr. Il s’agit dès lors de le préserver par une digue du retour des eaux, amené par les marées de syzygies et par les tempêtes du nord-ouest. Dans les points peu exposés au choc des vagues, on se contente de construire la digue, comme un terrassement ordinaire, avec de la forte terre glaise qu’on extrait du schorre qui reste en dehors de la digue, ou qu’on apporte en bateau, si l’on n’en trouve point là de convenable. Dans les endroits encore atteints par les marées de chaque jour ou menacés par la force des lames, il faut enfermer le terrassement entre deux massifs de fascines posées en retraite les unes au-dessus des autres. Tout ce qui n’est pas garanti par le fascinage est revêtu de gazon ou de paille tressée, afin d’amortir le choc de la vague et d’empêcher les affouillemens. La hauteur des digues varie suivant le niveau du terrain qu’elles protègent ; mais elles ont toujours au moins trois fois plus de largeur que de hauteur. Quand elles ont à résister deux fois par jour à l’effort de la marée, leur épaisseur moyenne est d’une trentaine de mètres, et d’une vingtaine seulement quand elles ne sont atteintes que par les marées exceptionnelles. En avant d’un polder endigué,