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l’intérêt de la tranquillité publique, et pour épargner à son cœur un combat entre ses affections et d’impérieuses nécessités.

Assuré d’une condamnation dictée d’avance, Landais avait entretenu jusqu’au dernier moment l’espérance d’y échapper par l’attachement du souverain auquel il avait voué une fidélité que le cynisme de ses ennemis avait vainement affecté de mettre en doute, quand il apprit qu’il était abandonné de son maître et qu’il fallait se préparer à mourir, cette sentence, nous dit Bouchart, lui parut « moult dure et cruelle. » Il demeura calme toutefois, mit ordre aux affaires de sa conscience, et sur le soir, accompagné de deux religieux auxquels il recommanda le soin de sa sépulture, il fit à pied, au milieu d’une foule immense, le long trajet qui séparait la prison du gibet. Il y monta sans émotion apparente, jetant du haut de l’échelle un regard de mépris sur le peuple breton, qui applaudissait au supplice du dernier défenseur de la cause bretonne.

Et maintenant que j’ai suivi pas à pas jusqu’au dernier terme ce confesseur d’une cause vaincue par les temps et abandonnée par les hommes, s’étonnera-t-on que je m’arrête avec quelque commisération sympathique devant le gibet où mourut un malheureux calomnié? N’y a-t-il pas devoir, pour qui a du sang breton dans les veines, de provoquer la postérité à plus de justice, lorsque les passions contemporaines furent aussi impitoyables, et lorsqu’elles ont si complètement dévoyé l’histoire? Ouvrez en effet des œuvres que le public semble accueillir avec faveur, et vous y verrez par exemple que le véritable crime du ministre de François II, aux yeux de l’aristocratie bretonne, fut d’avoir voulu préparer la réunion du duché à la couronne[1]; vous pourrez y lire encore que Landais, « qui fut un autre Olivier Le Daim, espérant acquérir un puissant protecteur, se mit, lui et son maître, à la discrétion du duc d’Orléans[2]. » Fils du peuple, mort pour la cause du peuple, voilà donc l’épitaphe qui vous attendait dans une œuvre démocratique !

Cependant les ennemis de Pierre Landais n’avaient épuisé par son supplice ni leur vengeance ni leur victoire, et François II, alors presque mourant, tombé d’ailleurs à l’entière discrétion des hauts barons depuis la défection de son armée, était encore moins en mesure de leur refuser le déshonneur que la vie de son hardi serviteur. Dans le conseil du prince, où ils régnèrent désormais sans contrôle, les chefs de l’insurrection baronniale rédigèrent donc une déclaration par laquelle le duc relevait de toutes condamnations encourues

  1. On lit ces mots par exemple dans un ouvrage assez souvent consulté, le Dictionnaire universel d’Histoire et de Géographie, de M. Douillet : « Le véritable crime de Landais aux yeux des seigneurs bretons était d’avoir voulu préparer la réunion de la Bretagne à la France. »
  2. Henri Martin, Histoire de France, tome VII, p. 192.