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à la question, « qu’il ne pust honnêtement porter, » nous dit Alain Bouchart avec une sorte de naïveté féroce. Les cas énormes et divers de trahison envers le seigneur duc se trouvèrent bientôt établis aux yeux des barons qui venaient de passer de l’armée insurrectionnelle sur le siège de la justice ducale. Des commissaires avaient été adjoints au procureur-général pour prononcer sur le sort du grand-trésorier, et comme pour donner à ce drame sa véritable signification politique, parmi ceux-ci se rencontraient deux signataires du traité de Montargis. Les commissaires ne firent pas attendre à l’impatience publique l’arrêt en vertu duquel Pierre Landais fut condamné à être conduit la corde au cou et pendu au gibet de Biesse, lieu habituel des exécutions, à avoir tous ses biens confisqués au profit du duc, lui étant seulement, par une grâce singulière, permis de se rendre à pied à l’échafaud, au lieu d’y être traîné en charrette selon l’usage ordinaire.

Une dernière difficulté restait, celle d’amener le duc à revêtir de sa signature l’arrêt de mort, car si François avait consenti à livrer son ministre pour calmer le peuple, c’était en manifestant l’intention formelle, au cas d’une condamnation à laquelle il s’obstinait à ne pas croire, de lui faire grâce de la vie, en usant de sa prérogative souveraine. Les conjurés, car il faut bien continuer de leur donner ce nom, résolurent, après diverses délibérations, de se passer de la sanction qu’ils craignaient de ne pas obtenir de la faiblesse du prince, quelque rude coup que cette crise eut porté à la santé et à l’intelligence déjà débilitées de François II. Ils se déterminèrent donc à ne lui faire connaître l’arrêt qu’après l’exécution. «A ceste cause fut ordonné que les portes du chasteau seroient gardées jusqu’à ce que l’exécution fust faicte, et que le comte de Comminges, qui estoit le grand compère du duc, vindroit jusque-là le trouver, car le duc estoit lors si mal de son esprit qu’on ne le laissoit veoir qu’à peu de gens. Le comte tantost s’en alla donc au chasteau et trouva le duc, lequel d’abordée lui demanda assez farouchement : « Compère, j’ai sçu qu’on besongnoit au procès du thrésorier; en sçavoz-vous rien? — Ouy, dist le comte, monseigneur, et l’on y trouve de merveilleux cas; mais, quand tout sera veu et entendu, l’on viendra vous rapporter l’opinion du conseil pour en ordonner ainsi qu’il vous plaira. — Ainsi le veulx-je, dist le duc, car, quelque cas qu’il aist commis, lui donne sa grâce et ne veulx point qu’il meure. » Ce propos fini, Comminges mist en terme autres devises où le duc prenoit plaisir[1]. » Ce blocus fut continué durant la journée du lendemain, 20 juillet 1485, et sur le soir on vint apprendre au prince que Landais n’était plus, qu’il avait fallu presser l’exécution de l’arrêt dans

  1. Alain Bouchart, f. CCIII.