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merveille, et se revoyaient avec une tendresse et une effusion que l’éloignement ne diminuait pas. Marie, qui s’était réfugiée auprès de Mme d’Orbigny, sa marraine et sa tante, par horreur du bruit, passait à Paris annuellement le même nombre de jours que Marthe, qui ne quittait pas Mme de Neulise, passait à Rambouillet. Ce n’était certes pas beaucoup pour une amitié qui n’avait souffert aucun nuage ; mais on se rencontrait au printemps et en automne avec un bonheur plus vif, qui allait presque aux confidences de la part de Marie, presque à l’attendrissement de la part de miss Tempête.

On peut trouver singulier que Mlle de Neulise eût consenti à se séparer de l’aînée de ses filles ; mais il entrait dans ses principes qu’il ne fallait contrarier personne : elle s’épargnait ainsi des efforts qui étaient contraires à sa bonté et, il faut bien le dire, à son indolence. Marie ayant, dès son adolescence, témoigné le désir de vivre à la campagne et dans la retraite, sa mère, après quelques observations caressantes, l’avait elle-même conduite à Rambouillet. Les meilleurs amis de Mme de Neulise virent dans ce petit voyage une grande preuve de tendresse maternelle. La mondaine s’était dérangée au cœur de l’hiver, la veille d’un bal costumé. Les sacrifices se mesurent au tempérament ; celui-là était le plus grand que Mme de Neulise pût faire.

Mme de Neulise avait épousé à dix-huit ans un médecin fameux qui en comptait près de quarante. Douze ans après, il ne parut pas que l’âge eût apporté aucun changement ni dans son caractère ni dans ses traits. Telle on l’avait connue à Toulouse tout enfant, telle on la retrouvait grande dame à Paris. M. de Neulise l’adorait. Esclave de la science à laquelle il avait consacré sa jeunesse, c’était la première, la seule femme qu’il aimât. L’empire qu’elle exerçait sur lui tenait de la fascination. Ils vécurent ainsi pendant une quinzaine d’années, sans que l’œil le plus soupçonneux et l’esprit le plus enclin à la médisance eussent une seule fois l’occasion de découvrir entre eux l’apparence d’un trouble intérieur, l’ombre d’une mésintelligence. Celui qui aimait le plus avait plié ses goûts à ceux de l’autre : ajoutons qu’il ne s’en plaignait pas. La présence de sa femme éclairait en rose tout ce qui entourait le médecin, et lui faisait voir des merveilles où son esprit lui montrait des abîmes. Pour satisfaire à l’existence mondaine, bruyante, coûteuse, vers laquelle Noémi l’entraîna dès le lendemain de son mariage, et qui ne s’arrêta plus, M. de Neulise redoubla d’efforts. La science et la clientèle se partagèrent son temps ; l’une même empiéta sur l’autre : M. de Neulise eût préféré peut-être un autre genre de vie, mais il n’était pas le maître d’arranger la sienne à sa guise. Bien plus même, dans la sublime abnégation de l’amour qui remplissait tout son cœur, jamais la pen-