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était persévérant dans les siens, se laissant gouverner faute de caractère plutôt que faute d’intelligence, François n’aspirait qu’à couler une vie tranquille, et, fermant les yeux sur l’avenir de son duché, il aurait probablement fini par ne plus pratiquer qu’une politique viagère, si, aux approches de la vieillesse, son second mariage avec Marguerite de Foix, fille de Gaston IV, prince de Navarre, ne lui avait enfin donné deux enfans légitimes, et si le pressentiment de leurs épreuves n’avait redoublé son énergie à l’époque même où celle-ci semblait devoir lui manquer. Jusqu’au commencement de 1477, date de la naissance de la princesse Anne, sa première fille, François s’était plus inquiété d’ajourner les embarras que d’en triompher. Appeler l’industrie, les lettres[1] et les arts sur une terre qui portait plus de menhirs que de statues, et dont le sein recelait plus de fer que d’or, plus de granit que de marbre; développer le commerce par des traités avec toutes les puissances maritimes, depuis le Portugal jusqu’à la Turquie[2]; fonder des manufactures, pour donner à ses sujets des goûts nouveaux avec des richesses nouvelles[3] ; se construire une élégante demeure dans la sombre enceinte du château de ses pères; méditer peut-être le plan d’une sépulture dont aucun mausolée royal n’a surpassé la beauté[4], tels auraient été les seuls soucis du dernier duc de Bretagne, si pareille existence avait été permise à un contemporain de Louis XI.

Malgré sa politique vacillante, ce long règne fut inspiré, dans son administration intérieure, par une seule pensée : grandir l’importance des communautés urbaines, en même temps qu’on restreignait les juridictions seigneuriales, afin de pouvoir opposer une bourgeoisie riche et docile à une aristocratie impérieuse[5]. Ce tra-

  1. Bulle de Pie II du 22 septembre 1461 pour la fondation de l’université de Nantes. — Ogée, Dictionnaire historique de Bretagne, t. II, p. 138.
  2. Traités de commerce avec l’Angleterre du 2 juin et ratification du 8 juillet 1468 (Preuves de l’Histoire de dom Morice, t. II, ch. 180); — avec le Portugal, du 13 juin 1471 (Archives de Nantes, arm. S, cass. D); — avec les villes de la Hanse anséatique, en 1476 (arm. O, cass. A); — avec l’Espagne, en 1483 (même dépôt, même armoire). — Bulle du pape Sixte IV pour permettre aux sujets du duc de Bretagne de trafiquer au pays des infidèles (arm. O, cass. A).
  3. Etablissement d’une manufacture de soieries à Vitré en 1475, d’une manufacture de tapisseries à Rennes en 1477, et privilèges accordés à des ouvriers venus d’Arras. — Archives de Nantes, registres de la chancellerie, cités par M. Daru et par M. Levot.
  4. Mausolée de François II et de Marguerite de Foix, par Michel Columb, dans la cathédrale de Nantes, érigé par les soins d’Anne de Bretagne.
  5. Lettres ducales du 16 mai 1466, 26 décembre 1471, 13 septembre 1473, portant remise aux bourgeois de tous droits de vente pour les acquêts faits sous la juridiction de la prévôté, concession du droit de bâtir des fours et moulins, d’avoir des boisseaux, balances et autres mesures sans payer aucune finance, de construire des colombiers, etc.; établissement au profit des villes d’octrois sur toutes les marchandises y importées, octrois qui en très peu d’années leur créèrent des revenus considérables.