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çurent avec effroi qu’un parti républicain commençait à se former au sein des états à esclaves. Encouragés par l’élection de leur chef, les amis de M. Blair entreprirent de dresser une liste d’électeurs fédéraux en faveur de M. Lincoln, et de voter ainsi directement pour le candidat républicain, au lieu de voter pour la liste unioniste, comme ils avaient dû le faire en 1856. On ne mit aucun obstacle à leur organisation, et il ne fut plus question de refuser et de considérer comme nuls les votes des républicains, ainsi qu’on avait refusé en 1856 les votes en faveur de M. Frémont. Dans le Kentucky, un homme intrépide, qui porte un nom illustre, M. Cassius Clay, s’était fait depuis plusieurs années le missionnaire de la liberté. Il avait constitué dans les montagnes du Kentucky, à l’aide d’émigrans venus de la Pensylvanie, un petit noyau républicain qu’il grossissait par la plus active propagande. Vingt fois la vie de M. Cassius Clay avait été en péril. En mars 1860, son village avait été envahi, et il avait été question d’expatrier sa femme et ses enfans au nom de la loi de Lynch; il ne s’était jamais laissé intimider. A force d’intrépidité, il avait fait respecter en sa personne la liberté de la parole; le revolver et le bowie-knife à la ceinture, il avait propagé les principes républicains d’un bout à l’autre du Kentucky, sans qu’on osât jamais porter la main sur lui, parce qu’on le savait homme à vendre chèrement sa vie. Son courage d’ailleurs, son obstination, sa franchise et sa verve ne déplaisaient pas à ces rudes populations, qui reconnaissaient à ces qualités le bon vieux sang kentuckien. Placé dans les mêmes conditions que le Kentucky, ayant aussi une région montagneuse inaccessible à l’esclavage et graduellement envahie par les émigrans du nord, le Tennessee avait vu également se former quelques groupes hostiles à l’esclavage, que les divisions et le découragement du parti démocratique enhardirent cette année à proclamer hautement leurs sympathies républicaines. On n’osa mettre aucun obstacle à leurs manifestations, et, encouragés par cet exemple, les habitans des comtés septentrionaux de la Virginie, tenus en suspicion par leurs voisins du sud, arborèrent à leur tour l’étendard républicain, sans attirer sur eux les mêmes persécutions qu’en 1856. Dans le Maryland enfin, Baltimore vit se former au grand jour un comité républicain qui annonça qu’il aurait désormais ses candidats dans toutes les élections. Les républicains du Delaware s’organisèrent également avec l’intention de ne plus se mettre à la remorque des unionistes. Si les états libres du centre subissent dans une certaine mesure l’influence du sud, ils réagissent aussi sur lui, on le voit, par la contagion naturelle des idées libérales, puisque les six états à esclaves qui confinent aux états libres contiennent tous un élément hostile à l’esclavage. En réalité, toutes ces manifestations, même celles du Missouri, étaient sans influence