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c’était aussi celui qui avait le moins de chances. Pour qu’il réussît, il fallait que M. Lincoln ne réunît pas la majorité absolue, que lui-même fût un des trois candidats ayant le plus de voix, enfin que le choix de la chambre des représentans s’arrêtât sur lui. Il semblait impossible que M. Douglas remplît même la seconde de ces trois conditions. La haine persévérante de M. Buchanan, qui ne s’arrêtait pas devant la perspective d’un échec certain et qui suscitait dans tout le nord des comités en faveur de M. Breckinridge, afin de diviser les voix des démocrates, enlevait à M. Douglas tout espoir de l’emporter dans un seul état libre, hormis peut-être l’Illinois. Dans le sud, les états qui avaient fait défection à Charleston étaient assurés à M. Breckinridge ; restaient uniquement sept ou huit états à esclaves où il fallait triompher à la fois des amis de M. Breckinridge, soutenus par le président, et des unionistes. La situation était désespérée; se retirer de la lutte était pourtant impossible : on n’aurait su à M. Douglas aucun gré d’un désistement qui aurait eu pour prétexte le désir de ramener la concorde dans les rangs des démocrates. C’eût été d’ailleurs sacrifier le principe au nom duquel il s’était séparé de la fraction exaltée du parti.

M. Douglas résolut de persévérer jusqu’au bout, bien que sans illusion aucune sur les chances de sa candidature. C’étaient les exaltés du sud qui avaient ruiné ses espérances; il résolut de tourner contre eux tous ses efforts, afin d’assurer leur défaite. Une déroute complète abattrait l’orgueil de cette faction intolérante, lui démontrerait son impuissance, et la contraindrait à chercher le salut de l’esclavage dans une réorganisation du parti démocratique. On serait donc obligé de revenir à lui, qui personnifiait en ce moment la démocratie du nord, et plus il aurait fait preuve de puissance, moins on serait tenté de méconnaître la légitimité de ses prétentions. M. Douglas ne se borna pas à faire publier par le comité dirigeant de son parti une déclaration pour repousser à l’avance toute transaction, tout compromis avec les amis de M. Breckinridge; il résolut d’aller porter la guerre dans le camp ennemi. Un usage fondé sur la prudence veut que tout homme politique, aussitôt après avoir accepté la candidature à la présidence, s’abstienne de paraître en public, de prononcer aucun discours et d’écrire aucune lettre; il renvoie au comité dirigeant de son parti toutes les lettres où on l’interroge sur ses opinions passées ou présentes, et c’est le comité qui se charge d’y répondre; il est sans exemple qu’un candidat ait jamais entrepris une tournée électorale. M. Douglas s’affranchit complètement de cette réserve. Pendant trois mois, il parcourut toute la confédération, prononçant chaque jour un discours et développant partout le même thème. « Les républicains et les mangeurs de feu, disait-il, conspiraient également la ruine de l’Union : les uns