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l’Ohio au troisième. M. Lincoln, qui, dès le second tour, avait eu autant de voix que M. Seward, eut au troisième une majorité considérable. Pour la vice-présidence, on aurait vivement souhaité faire adopter un des candidats présentés par la Pensylvanie; mais les délégués de la Nouvelle-Angleterre. par voie de représailles, votèrent presque unanimement pour M. Hannibal Hamlin, du Maine, qui fut nommé au second tour. La convention républicaine se sépara le même jour après avoir adopté à l’unanimité le programme qui lui fut présenté.

Plus de trente mille personnes étaient accourues à Chicago de tous les états voisins pour connaître plus tôt le choix de la convention. Le nom de M. Lincoln fut accueilli avec des acclamations frénétiques par ces multitudes, composées en majorité de gens de l’ouest. Dans toute la vallée du Mississipi, il excita un enthousiasme qui tint du délire. C’était la première fois qu’un candidat à la présidence était choisi en dehors des états primitifs ; il semblait donc que la préférence donnée à M. Lincoln sur l’un des hommes les plus illustres de la confédération consacrât l’émancipation politique de l’ouest, et fût un hommage rendu à l’influence croissante et à la prépondérance future des jeunes états. Ces sentimens se traduisirent par une suite prolongée de manifestations bruyantes où la poudre ne fut pas épargnée. Cet enthousiasme imprévu de l’ouest, qui était un gage de succès, ne contribua pas médiocrement à réconcilier les états atlantiques avec le choix de la convention, et ce qu’on sut bientôt des commencemens romanesques de M. Lincoln fit adopter chaudement sa candidature par les masses populaires.

Le grand-père d’Abraham Lincoln fut un des hardis pionniers qui, avec Daniel Boone, quittèrent la Virginie pour venir s’établir dans le Kentucky, et qui payèrent de leur vie cette conquête de la terre de sang. Il fut tué par les Indiens, Le fils de celui-ci mourut prématurément en 1815, laissant une veuve sans fortune et plusieurs enfans, dont Abraham Lincoln, alors âgé de six ans, était l’aîné. La famille ne tarda pas à émigrer dans l’Indiana, où Lincoln reçut l’éducation des pionniers : il n’eut d’instruction que ce qu’en peuvent donner six mois d’école; mais on lui enseigna à manier le mousquet, la cognée et la charrue. Il fut successivement, à mesure que ses forces augmentaient avec l’âge, gardeur de troupeaux, apprenti dans une scierie, conducteur de trains et batelier sur le Wabash et le Mississipi, enfin poseur de rails. A vingt et un ans, il émigra dans l’Illinois, qui se peuplait rapidement, et pendant un an travailla comme journalier dans une ferme près de Springfield. Il consacrait ses loisirs à s’instruire, et le journalier entra bientôt en qualité de commis dans un magasin. Il prit part comme volontaire à la guerre contre la tribu indienne des Faucons-Noirs, et fut élu capi-