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lettres : l’attentat de John Brown l’arracha de sa retraite. On le vit pendant tout l’hiver de 1859 prendre une part active aux manifestations unionistes, et sa réputation d’éloquence contribua à leur donner un grand éclat. Soit que M. Everett, à raison de son âge et des fonctions éminentes qu’il a remplies, se fût attendu à être désigné pour la présidence, soit que le succès lui parût impossible, soit enfin qu’il appréhendât pour sa popularité l’épreuve d’une campagne électorale, il hésita longtemps avant d’accepter la candidature de la vice-présidence, et ne céda qu’aux instances réitérées de ses amis.

Les choix de la convention de Baltimore étaient habiles; jamais hommes plus dignes des deux premières magistratures n’avaient été proposés aux suffrages populaires, et l’accueil que reçurent les noms de Bell et d’Everett de la part des classes élevées put un moment faire illusion aux unionistes. Ils ne pouvaient espérer pour leurs candidats une élection directe, mais ils se crurent certains de rendre une majorité impossible. Les états du sud, même unanimes, étaient impuissans à former cette majorité ; or les unionistes se croyaient sûrs du Maryland, qui en 1856 avait voté pour M. Fillmore; ils comptaient sur le Tennessee, parce qu’il est sans exemple qu’un candidat n’ait pas obtenu les voix de son état natal, et sur le Kentucky comme votant habituellement avec le Tennessee. Les minorités formidables que M. Fillmore avait obtenues dans la Louisiane et la Caroline du sud pouvaient se changer en majorités, si les démocrates venaient à se diviser. Il suffisait que trois états à esclaves, et à plus forte raison cinq, votassent en faveur de M. Bell pour que le candidat du sud, quel qu’il fût, ne pût avoir la majorité absolue. Quant au candidat républicain, on reconnaissait impossible de lui disputer les états de la Nouvelle-Angleterre; mais en admettant qu’il eût pour lui les quatorze états qui avaient voté pour M. Frémont, y compris New-York, ces quatorze états ne lui donneraient que 114 voix, et pour arriver au chiffre de 152, nécessaire pour la majorité absolue, il lui faudrait y joindre indispensablement la Pensylvanie, qui a 27 suffrages, et soit l’Indiana, soit l’Illinois. Les unionistes se flattaient que M. Everett leur vaudrait les suffrages du Massachusetts, et ils comptaient, comme en 1856, réunir assez de voix dans l’Indiana et dans la Pensylvanie pour empêcher le candidat républicain de l’emporter dans ces deux états. Personne n’obtenant la majorité absolue, l’élection serait renvoyée au congrès, et les forces des deux partis extrêmes s’y balançaient trop également pour que les chances ne fussent pas en faveur du candidat intermédiaire.

Ces calculs étaient trop spécieux pour ne pas donner à réfléchir