Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fliger le spectacle de l’esclavage et de la plus repoussante de ses conséquences, le trafic de la chair humaine. Ce n’était point là une vaine hypothèse, comme l’attestait un procès pendant devant la cour suprême. Un Virginien, nommé Lemmon, qui se rendait au Texas avec deux esclaves, était venu à New-York pour prendre le paquebot qui va à la Nouvelle-Orléans. Ses deux esclaves lui avaient été enlevés au nom de la loi de New-York, qui interdit l’esclavage dans les limites de cet état; ils avaient été déclarés libres par un arrêt de la cour de New-York, confirmé par la cour suprême d’Albany. Une souscription avait été ouverte parmi les négocians de New-York, désireux d’étouffer cette fâcheuse affaire, et Lemmon avait été désintéressé; mais l’état de Virginie était intervenu dans le procès et avait interjeté appel devant la cour suprême des États-Unis pour faire décider que la juridiction des cours de New-York ne s’étendait pas sur un citoyen virginien. Avec les dispositions bien connues de la cour suprême, où les démocrates étaient en majorité, la décision ne semblait pas douteuse. Voilà donc où avait conduit l’atteinte portée par M. Douglas à la constitution et à l’autorité du congrès! On avait prétendu restituer aux habitans des territoires la faculté d’opter entre l’esclavage et la liberté, et voici que, de conséquence en conséquence, le sud en arrivait à imposer l’esclavage aux états qui étaient et qui voulaient demeurer libres.

Rien n’était plus propre qu’une pareille perspective à développer l’hostilité croissante du nord contre l’esclavage. Insérer les résolutions de M. Jefferson Davis, ou la substance seulement de ces résolutions, dans le programme du parti démocratique, c’était enlever au candidat qui accepterait ce programmé toute chance d’obtenir un seul suffrage en dehors des états à esclaves. M. Douglas personnellement n’aurait pu y adhérer sans renier la conduite et le langage qu’il avait tenus depuis six ans, et sans ruiner à jamais son influence jusque dans l’Illinois. Or ses adversaires voulaient précisément lui imposer cette alternative cruelle de renoncer à la candidature ou de se donner à lui-même un démenti déshonorant. M. Slidell adressa de Washington à un délégué de la Louisiane une série de résolutions dont la rédaction était aussi provocatrice que possible; de son côté, M. Douglas manda à ses partisans de s’en tenir strictement au programme de 1856, en y ajoutant tout au plus une adhésion à l’arrêt de la cour suprême dans l’affaire Dred Scott. On crut que la commission du programme ne tomberait jamais d’accord sur une rédaction; les quinze délégués des états à esclaves étaient unanimes, tandis que les délégués des états libres proposaient trois ou quatre rédactions qui avaient toutes pour objet de donner satisfaction au sud tout en esquivant une adhésion à ce qu’on appelait le code noir. Enfin