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IX.

Oui, Godfrey était bon pour moi. Oui, je ne pouvais, même en ces rudes épreuves, méconnaître le sens de ces longs regards dont il me suivait par momens, de ces menus soins, de ces tendres prévenances dont il me comblait en toute occasion. Le silence qu’il avait d’abord gardé lui-même, il l’imposait maintenant à tous ceux dont je vivais entourée. Je ne pouvais douter que l’œuvre terrible ne s’accomplît, mais rien jamais ne venait me la rappeler. Si je hasardais une question, toute réponse était éludée. Un calme factice régnait autour de moi, et ce calme, s’il n’apaisait ni mes anxiétés ni ma douleur, semblait parfois m’en distraire et les engourdir.

Un jour que, plongée dans l’espèce de torpeur où chacun s’étudiait à me laisser, je m’absorbais en je ne sais quelle rêverie, j’entendis ouvrir la porte d’un petit salon où mon frère en ce moment écrivait quelques lettres, et qu’il fallait nécessairement traverser pour arriver dans la pièce où je me tenais. Mon frère, se levant par un mouvement brusque, attira mon attention, et avant d’avoir pu avancer la tête pour voir qui se présentait devant lui, je reconnus une voix dont les vibrations connues m’allèrent au cœur. Hugh Wyndham demandait à me parler, «à me parler, ajoutait-il, de la part de ma mère. »

Conservant à grand’peine un calme parfait, et sans se départir des formules de la plus exacte courtoisie, mon frère essaya de lui faire comprendre que peut-être mieux vaudrait éviter une si pénible entrevue. Une communication par écrit... Je l’interrompis alors en me montrant. L’idée que ces deux hommes se trouvaient en présence m’avait tout d’abord étourdie. Maintenant je comprenais la nécessité de me placer entre eux et d’abréger leur pénible tête-à-tête.

— Loin de moi, reprit Hugh, l’idée d’importuner miss Lee;... mais je dois remettre entre ses mains le message qui m’est confié... Elle seule, puisque la voici, décidera si mon insistance est ou non déplacée.

— Ma sœur est libre, monsieur, repartit Godfrey ; mais elle sait ce que je pense de l’embarrassante situation où vous la placez ainsi.

— Je le sais, me hâtai-je de répondre; mais aucun motif, pas même celui-Là, ne m’empêchera d’écouter ce que peut avoir à me dire M. Hugh Wyndham. Au surplus, comme il n’y a aucun secret entre nous, je ne m’oppose nullement à ce que cet entretien vous ait pour témoin.

— Ma curiosité ne va point jusque-là, répliqua Godfrey avec hau-