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sans mélange que j’avais pris à retrouver en lui l’unique ami de mes jeunes années, n’attestaient-ils pas l’apaisement de ces émotions trop vives, de cette tendresse trop passionnée qu’il m’inspirait naguère, et dont le souvenir m’aurait fait craindre, si j’avais pu la prévoir, l’entrevue qui venait d’avoir lieu ? Rassurée par cette épreuve décisive, je ne m’inquiétais plus des nouvelles rencontres que très certainement, si nous restions à Londres quelques jours de plus, il saurait amener entre nous. Je n’entendais ni les provoquer, ni m’y soustraire, ni sacrifier l’amitié de Hugh aux préjugés fraternels, ni désobliger mon frère en multipliant des rapports qui pouvaient lui porter ombrage. Avant tout et surtout, je ne voulais pas les tenir secrets, et je saisis la première occasion venue pour dire à Christine, devant Godfrey, que notre vieille voisine était mistress Wyndham. Une explication devait suivre, elle eut lieu comme je l’avais prévu. Un léger nuage passa sur le front de mon frère, quand je lui racontai ma promenade du matin ; mais les jeux des enfans le déridèrent bientôt. — Je pense, me dit-il un peu plus tard, à un moment où nous étions seuls, que vous ne comptez pas présenter ce jeune homme à votre belle-sœur ?

— Je ne l’aurais jamais fait sans vous en demander la permission, repartis-je aussitôt. Et ma réponse parut le satisfaire. Évidemment, me dis-je, son absence, les préoccupations de son métier, le temps aussi sans doute, ont calmé ses ressentimens. S’il en était autrement, je n’en eusse pas été quitte pour cette recommandation si naturelle et si superflue. — Puis, méditant sur cet incident, je rêvai je ne sais quelle victoire du chrétien sur lui-même, je ne sais quelle réconciliation ultérieure entre ces deux hommes aussi loyaux, aussi droits, aussi généreux l’un que l’autre. Je n’y voyais pour moi aucun intérêt direct ; mais l’amour de la justice me faisait désirer qu’un rapprochement si désirable finît par devenir possible.

Le lendemain, mon frère reçut une lettre qui lui fit incontinent décider son départ pour le Cheshire. Il s’agissait pour lui de tenir la promesse qu’il avait faite d’aller assister le capitaine Stirling, un de ses amis, dans la direction de quelques travaux d’ingénieur dont ce dernier était chargé par une compagnie de chemins de fer. Pendant le trouble des préparatifs, auxquels j’aidais de mon mieux, Godfrey me prit encore à part. — Christine m’a conté que ce jeune Wyndham est déjà veuf, me dit-il à voix basse. Je ne me trompe point, n’est-il pas vrai, en supposant que, — malgré les manœuvres de l’autre, — celui-ci n’a jamais, en aucune occasion, à aucune époque, sollicité vos préférences ?

J’écrivais en ce moment je ne sais quelles adresses. — Vous ne vous trompez point, frère, répondis-je d’une voix assurée ; mais ce fut sans quitter des yeux mon papier.