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voine pour nos chevaux. — Sans doute, répondit-il, et il se mit à faucher le champ le plus voisin avec toute la tranquillité américaine et comme il aurait pu le faire en plein midi. Pendant ce temps, nous dessellions nos montures, et nous les attachions, faute d’écurie, aux barrières à travers lesquelles nous venions de passer.

Le lendemain 25 juillet, notre premier soin fut de nous enquérir d’un guide. Un désert de quinze lieues sépare Flint-River de Saginaw, et le chemin qui y conduit est un sentier étroit, à peine reconnaissable à l’œil. Notre hôte approuva notre dessein, et bientôt après il nous amena deux Indiens dans lesquels il nous assura que nous pouvions avoir toute confiance. L’un était un enfant de treize à quatorze ans, l’autre un jeune homme de dix-huit ans. Le corps de ce dernier, sans avoir encore acquis les formes vigoureuses de l’âge mûr, donnait cependant déjà l’idée de l’agilité unie à la force. Il était de moyenne grandeur; sa taille était droite et élancée, ses membres flexibles et bien proportionnés. De longues tresses tombaient de sa tête nue. De plus, il avait eu soin de peindre sur sa figure des lignes noires et rouges de la manière la plus symétrique; un anneau passé dans la cloison du nez, un collier et des boucles d’oreilles complétaient sa parure. Son attirail de guerre n’était pas moins remarquable : d’un côté, la hache de bataille, le célèbre tomahawk; de l’autre, un couteau long et acéré, à l’aide duquel les sauvages enlèvent la chevelure du vaincu. A son cou était suspendue une corne de taureau qui lui servait de poire à poudre, et il tenait dans sa main droite une carabine rayée. Comme chez la plupart des Indiens, son regard était farouche et son sourire bienveillant. A côté de lui, comme pour compléter le tableau, marchait un chien à oreilles droites, à museau allongé, beaucoup plus semblable à un renard qu’à aucune autre espèce d’animal, et dont l’air farouche était en parfaite harmonie avec la contenance de son maître.

Après avoir examiné notre nouveau compagnon avec une attention dont il ne parut pas un seul moment s’apercevoir, nous lui demandâmes ce qu’il désirait de nous pour prix du service qu’il allait nous rendre. L’Indien répondit quelques mots dans sa langue, et l’Américain, se hâtant de prendre la parole, nous apprit que ce que demandait le sauvage pouvait être évalué à deux dollars. — Comme ces pauvres Indiens, ajouta charitablement notre hôte, ne savent pas le prix de l’argent, vous me donnerez les dollars, et je me chargerai volontiers de lui fournir l’équivalent.

Je fus curieux de voir ce que le digne homme appelait l’équivalent de deux dollars, et je le suivis tout doucement dans le lieu où se faisait le marché. Je le vis délivrer à notre guide une paire de mocassins et un mouchoir de poche, objets dont la valeur totale ne