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dienne avait établi sa demeure passagère. Une vieille femme, deux jeunes filles, plusieurs enfans, se tenaient accroupis autour d’un feu à l’ardeur duquel étaient exposés les membres encore palpitans d’un chevreuil entier. A quelques pas de là, sur l’herbe, un Indien tout nu se chauffait aux rayons du soleil, tandis qu’un petit enfant se roulait près de lui dans la poussière. Ce fut là que s’arrêta notre silencieux compagnon ; il nous quitta sans prendre congé de nous, et fut s’asseoir gravement au milieu de ses compatriotes. Qui avait pu porter cet homme à suivre ainsi pendant deux lieues la course de nos chevaux? C’est ce que nous ne pûmes jamais deviner.

Après avoir déjeuné en cet endroit, nous remontâmes à cheval et poursuivîmes notre marche au milieu d’une haute futaie peu épaisse. Le taillis a été brûlé autrefois, comme on peut l’apercevoir aux restes calcinés de quelques arbres qui sont couchés sur l’herbe. Le sol est aujourd’hui couvert de fougère qu’on voit s’étendre à perte de vue sous le feuillage de la forêt. Quelques lieues plus loin, mon cheval se déferra, ce qui nous causa une vive inquiétude. Près de là heureusement nous rencontrâmes un planteur qui parvint à le referrer. Sans cette rencontre, je doute que nous eussions pu aller plus loin, car nous approchions de l’extrême limite des défrichemens. Ce même homme qui nous mit ainsi en état de poursuivre notre route nous invita à presser le pas, le jour commençant à baisser, et deux grandes lieues nous séparant encore de Flint-River, où nous voulions aller coucher. Bientôt en effet une obscurité profonde commença à nous environner. Il fallait marcher. La nuit était sereine, mais glaciale. Il régnait au fond de ces forêts un silence si profond et un calme si complet, qu’on eût dit que toutes les forces de la nature y étaient comme paralysées. On n’y entendait que le bourdonnement incommode des moustiques et le bruit des pas de nos chevaux. De temps en temps, on apercevait au loin un feu d’Indiens devant lequel un profil austère et immobile se dessinait dans la fumée.

Au bout d’une heure, nous arrivâmes à un lieu où le chemin se divise : deux sentiers s’ouvraient en cet endroit. Lequel des deux prendre ? Le choix était délicat. L’un d’eux aboutissait à un ruisseau dont nous ne connaissions pas la profondeur, l’autre à une éclaircie. La lune, qui se levait alors, nous montrait devant nous une vallée remplie de débris. Plus loin nous apercevions deux maisons. Il était si important de ne point s’égarer dans un pareil lieu et à cette heure, que nous résolûmes de prendre des renseignemens avant d’aller plus loin. Mon compagnon resta pour tenir les chevaux, et moi, jetant mon fusil sur mon épaule, je descendis dans le vallon. Bientôt je m’aperçus que j’entrais dans un défrichement tout récent. Des arbres immenses, non encore débarrassés de leurs branches,