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m’étant retourné de nouveau, je suis confondu d’apercevoir encore l’Indien derrière la croupe de mon cheval. Il courait avec l’agilité d’un animal sauvage, sans prononcer un seul mot ni paraître allonger son allure. Nous nous arrêtons, il s’arrête; nous repartons, il repart. Nous nous lançons à toute course; nos chevaux, élevés dans le désert, franchissaient avec facilité tous les obstacles : l’Indien double sa marche; je l’aperçois tantôt à droite, tantôt à gauche de mon cheval, sautant par-dessus les buissons et retombant sur la terre sans bruit. On eût dit l’un de ces loups du nord de l’Europe, qui suivent les cavaliers dans l’espérance qu’ils tomberont de leurs chevaux et pourront être plus facilement dévorés.

La vue de cette figure étrange, qui, tantôt se perdant dans l’obscurité de la forêt, tantôt reparaissant au grand jour, semblait voltiger à nos côtés, finissait pas nous devenir importune. Ne pouvant concevoir ce qui portait cet homme à nous suivre d’un pas si précipité, et peut-être le faisait-il depuis longtemps lorsque nous le découvrîmes la première fois, il nous vint dans la pensée qu’il nous menait dans une embuscade. Nous étions préoccupés de cette idée, lorsque nous aperçûmes devant nous, dans le bois, le bout d’une autre carabine. Bientôt nous fûmes à côté de celui qui la portait. Nous le prîmes d’abord pour un Indien. Il était couvert d’une espèce de redingote courte qui, serrée autour de ses reins, dessinait une taille droite et bien prise. Son cou était nu, et ses pieds couverts de mocassins. Lorsque nous arrivâmes près de lui et qu’il leva la tête, nous reconnûmes sur-le-champ un Européen, et nous nous arrêtâmes. Il vint à nous, nous secoua la main avec cordialité, et nous entrâmes en conversation. — Est-ce que vous vivez dans le désert?

— Oui, voilà ma maison. — Et il nous montrait, au milieu des feuilles, une hutte beaucoup plus misérable que le log-house ordinaire.

— Seul?

— Seul.

— Et que faites-vous donc ici?

— Je parcours ces bois, et je tue à droite et à gauche le gibier qui se rencontre sur mon chemin ; mais il n’y a pas de bons coups à faire maintenant.

— Et ce genre de vie vous plaît?

— Plus que tout autre.

— Mais ne craignez-vous pas les Indiens?

— Craindre les Indiens! J’aime mieux vivre au milieu d’eux que dans la société des blancs. Non, non, je ne crains pas les Indiens; ils valent mieux que nous, à moins que nous ne les ayons abrutis par les liqueurs fortes, les pauvres créatures!