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hâte la maison grossière dont vous avez pu déjà examiner la structure. Chez nous, l’entretien des bestiaux ne coûte guère. L’émigrant les lâche dans la forêt après leur avoir attaché au cou une clochette de fer. Il est très rare que ces animaux, ainsi abandonnés à eux-mêmes, quittent les environs de leur demeure. La plus grande dépense est celle du défrichement. Si le pionnier arrive dans le désert avec une famille en état de l’aider dans ses premiers travaux, sa tâche est assez facile; mais il en est rarement ainsi. En général l’émigrant est jeune, et s’il a déjà des enfans, ils sont en bas âge. Alors il lui faut pourvoir seul à tous les premiers besoins de sa famille ou louer les services de ses voisins. Il en coûte de 4 à 5 dollars (de 20 à 25 francs) pour faire défricher un acre. Le terrain étant préparé, le nouveau propriétaire met un acre en pommes de terre, le reste en froment et en maïs. Le maïs est la providence de ces déserts; il croît dans l’eau de nos marécages, et pousse sous le feuillage de la forêt mieux qu’aux rayons du soleil. C’est le maïs qui sauve la famille de l’émigrant d’une destruction inévitable, lorsque la pauvreté, la maladie ou l’incurie l’a empêché la première année de faire un défrichement suffisant. Il n’y a rien de plus pénible à passer que les premières années qui s’écoulent après le défrichement. Plus tard vient l’aisance, ensuite la richesse. »

Ainsi parlait notre hôte. Pour nous, nous écoutions ces simples détails avec presque autant d’intérêt que si nous eussions voulu les mettre nous-mêmes à profit. Et quand il eut cessé de parler, nous lui dîmes : « Le sol de tous les bois abandonnés à eux-mêmes est en général marécageux et malsain; l’émigrant qui s’expose aux misères de la solitude n’a-t-il du moins rien à craindre pour sa vie? — Tout défrichement est une entreprise périlleuse, repartit l’Américain, et il est presque sans exemple que le pionnier et sa famille échappent, pendant la première année, à la fièvre des bois. Souvent, quand on voyage dans l’automne, on trouve tous les habitans d’une cabane atteints de la fièvre, depuis l’émigrant jusqu’à son plus jeune fils. — Et que deviennent ces malheureux lorsque la Providence les frappe ainsi? — Ils se résignent et attendent un meilleur avenir. — Mais ont-ils quelque assistance à espérer de leurs semblables? — Presque aucune. — Peuvent-ils du moins se procurer les secours de la médecine? — Le médecin le plus proche habite souvent à soixante milles de leur demeure. Ils font comme les Indiens : ils meurent ou guérissent, suivant qu’il plaît à Dieu. » — Nous reprîmes : « La voix de la religion parvient-elle quelquefois jusqu’à eux? — Très rarement. On n’a encore rien pu faire dans nos lois pour assurer l’observation publique d’un culte. Presque tous les étés, il est vrai, quelque prêtres méthodistes viennent parcourir les nouveaux éta-