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renouvelé. Douze peintres étaient entrés en lice ; Lemoine obtint le prix, Coypel l’accessit. De telles innovations suscitent de terribles jalousies, devant lesquelles on est trop prompt à reculer. Ce n’est pas le concours de 1810 qu’il faut blâmer, ce sont les intentions et les règles qui présidèrent à l’institution. Napoléon, mû par un désir d’apparat et de fausse grandeur, conçut le concours sur un plan gigantesque et mesquin tout ensemble, qui devait le tuer. Dans une petite ville de la Grèce, un seul prix pouvait suffire, distribué à chaque olympiade ou bien de panathénées en panathénées. Il ne suffit pas dans un grand pays, où les classes de citoyens sont nombreuses et se pressent en foule à l’entrée de toutes les carrières; il faut un large système de récompenses et des périodes plus rapprochées. Que signifient deux ou trois prix, qui seront disputés deux ou trois fois à peine pendant toute la durée d’une génération? Aussi l’idée de l’empereur, accueillie d’abord avec enthousiasme par le public, se réduisit bientôt à ses justes proportions, embarrassa et fut oubliée. La commission fit un rapport évasif, donna à tous les concurrens une dose égale de louanges et d’inoffensives critiques; mais il n’y eut ni prix décerné, ni jugement définitif prononcé. Ce n’était point cependant un concours d’un médiocre intérêt, puisque à côté des Sabines et du Couronnement de l’empereur de David, on voyait la Peste de Jaffa de Gros, le Déluge de Girodet, les Trois Ages de Gérard, la Révolte du Caire de Guérin, la Justice et la Vengeance divine de Prudhon, le Passage du Saint-Bernard de Thévenin, la Bataille d’Austerlitz de Carle Vernet; mais le pouvoir absolu n’a point d’empire sur les choses qui sont du domaine exclusif de l’intelligence. La violence comprime, elle ne féconde point; c’est la fable de la rivière et du torrent.

Aujourd’hui nous sommes loin des privilèges exclusifs de l’ancienne Académie et de ces expositions sereines qui ressemblaient à un enseignement. Nous sommes plus loin encore des prix décennaux, honneur trop rare, que les maîtres seuls osaient se disputer. La révolution de 1789, en rompant toutes les barrières, a établi la démocratie victorieuse même dans la république des arts. Le droit d’exposer est réclamé par les peintres et les sculpteurs aussi impérieusement que le droit au travail l’a été, hélas! par les ouvriers. Il n’est point d’écolier, dès qu’il peut tenir un pinceau et jeter sur une toile un certain nombre de couleurs, qui n’apporte ses ébauches au jury avec la modeste conviction qu’il va changer la face de l’art. Un feuilletoniste, deux députés et une danseuse le protègent; si le jury refuse son œuvre, il se proclamera lui-même un grand homme, accusera les envieux, honnira ses maîtres et frappera à la porte des ministres avec des clameurs qui ne seront pas sans écho. Chaque jour le flot monte, chaque jour les tableaux sont plus nombreux, le