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soin pour cela d’aller bien loin. Ceux-là au moins commencent à se civiliser et sont d’un aspect moins sauvage. — Nous ne tardâmes pas à reconnaître qu’il était impossible d’obtenir d’eux la vérité en les attaquant de front, et qu’il fallait manœuvrer.

Nous nous rendîmes donc chez le fonctionnaire chargé par les États-Unis de la vente des terres encore désertes dont se compose en partie le district de Michigan. Nous nous présentâmes à lui comme des gens qui, sans avoir une volonté bien arrêtée de fonder un établissement dans le pays, pourraient cependant avoir un intérêt éloigné à connaître le prix et la situation des terres. M. Le major Biddle, c’était le nom du fonctionnaire, comprit cette fois à merveille ce que nous voulions faire, et entra immédiatement dans une foule de détails que nous écoutâmes avec avidité. — Cette partie-ci, nous dit-il en nous montrant sur la carte la rivière Saint-Joseph, qui, après de longues sinuosités, va se décharger dans le lac Michigan, me paraît la plus propre à répondre à votre dessein : la terre y est bonne, on y a déjà établi de beaux villages, et la route qui y conduit est si bien entretenue que tous les jours des voitures publiques la parcourent. — Bon ! disons-nous en nous-mêmes, nous savons déjà par où il ne faut pas aller, à moins que nous ne voulions visiter le désert en poste. — Nous remercions M. Biddle de ses avis, et nous lui demandons avec un air d’indifférence et une sorte de mépris quelle était la portion du district où, jusqu’à présent, le courant des émigrations s’était fait le moins sentir. — Par ici, nous dit-il, sans attacher à ses paroles plus de prix que nous ne paraissions en mettre à notre question, vers le nord-ouest. Jusqu’à Pontiac, et dans les environs de ce village, il a été fondé depuis peu d’assez beaux établissemens ; mais il ne faut pas penser à se fixer plus loin: le pays est couvert d’une forêt presque impénétrable qui s’étend sans bornes vers le nord-ouest, où l’on ne rencontre que des bêtes fauves et des Indiens. Les États-Unis projettent d’y ouvrir incessamment une route, mais elle n’est encore que commencée et s’arrête à Pontiac ; je vous le répète, c’est un parti auquel il ne faut pas songer. — Nous remerciâmes de nouveau M. Biddle de ses bons conseils, bien déterminés à en prendre tout juste le contre-pied ; nous ne nous possédions pas de joie de connaître enfin un lieu que n’avait pas encore atteint le torrent de la civilisation européenne.

Le lendemain 23 juillet, nous nous hâtons de louer deux chevaux ; comme nous comptons les garder une dizaine de jours, nous voulons déposer dans les mains du propriétaire un certain prix ; mais il refuse de le recevoir, disant que nous paierons à notre retour. Il était sans inquiétude : le Michigan est entouré de tous les côtés par des lacs et des déserts ; il nous lâchait dans une espèce