cile qu’on ne croit de rencontrer aujourd’hui le désert. À partir de New-York, et à mesure que nous avancions vers le nord-ouest, le but de notre voyage semblait fuir devant nous. Nous parcourions des lieux célèbres dans l’histoire des Indiens, nous rencontrions des vallées qu’ils ont nommées, nous traversions des fleuves qui portent encore le nom de leurs tribus ; mais partout la hutte du sauvage avait fait place à la maison de l’homme civilisé, les bois étaient tombés, la solitude prenait une vie.
Cependant nous semblions marcher sur les traces des indigènes. Il y a dix ans, nous disait-on, ils étaient ici ; là, cinq ans ; là, deux ans. Au lieu où vous voyez la plus belle église du village, nous racontait celui-ci, j’ai abattu le premier arbre de la forêt. Ici, nous racontait un autre, se tenait le grand conseil de la confédération des Iroquois. — Et que sont devenus les Indiens ? disais-je. — Les Indiens, reprenait notre hôte, ils ont été je ne sais pas trop où, par-delà les grands lacs ; c’est une race qui s’éteint ; ils ne sont pas faits pour la civilisation, elle les tue.
L’homme s’accoutume à tout, à la mort sur les champs de bataille, à la mort dans les hôpitaux, à tuer et à souffrir. Il se fait à tous les spectacles. Un peuple antique, le premier et le légitime maître du continent américain, fond chaque jour comme la neige aux rayons du soleil, et disparaît à vue d’œil de la surface de la terre. Dans les mêmes lieux et à sa place, une autre race grandit avec une rapidité plus surprenante encore ; par elle, les forêts tombent, les marais se dessèchent ; des lacs semblables à des mers, des fleuves immenses s’opposent en vain à sa marche triomphante. Les déserts deviennent des villages, les villages deviennent des villes. Témoin journalier de ces merveilles, l’Américain ne voit dans tout cela rien qui l’étonné. Cette incroyable destruction, cet accroissement plus surprenant encore, lui paraissent la marche habituelle des événemens de ce monde. Il s’y accoutume comme à l’ordre immuable de la nature.
C’est ainsi que, toujours en quête des sauvages et du désert, nous parcourûmes les trois cent soixante milles qui séparent New-York de Buffalo. Le premier objet qui frappa notre vue fut un grand nombre d’Indiens qui s’étaient réunis ce jour-là à Buffalo pour recevoir le paiement des terres qu’ils ont livrées aux États-Unis. Je ne crois pas avoir jamais éprouvé un désappointement plus complet qu’à la vue de ces Indiens. J’étais plein des souvenirs de M. de Chateaubriand et de Cooper, et je m’attendais à voir dans les indigènes de l’Amérique des sauvages sur la figure desquels la nature aurait laissé la trace de quelques-unes de ces vertus hautaines qu’enfante l’esprit de liberté. Je croyais rencontrer en eux des hommes dont le