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théories, il serait moins utile d’étudier avec détail ce que font les artistes depuis trois ou quatre siècles. La théorie et l’enseignement ne se manifestent point avec clarté à une époque qui procède par imitation, qui puise au hasard dans le passé, professe la liberté individuelle, pratique l’éclectisme et n’aboutit qu’à tout confondre.

Toutefois je crois qu’il convient d’expliquer deux faits qui, dans nos annales de l’art, paraissent condamner les tentatives de concours. Pourquoi d’abord les expositions du XVIIe et du XVIIIe siècle n’étaient-elles point l’occasion d’un concours? En second lieu, pourquoi les prix décennaux de 1810 ont-ils produit des résultats éphémères et contestables?

On sait que le règlement de 1663 imposait à chaque membre de l’Académie de peinture l’obligation d’exposer ses œuvres; seuls, ils avaient le droit d’exposer. — Rien ne ressemble moins à une lutte, dira-t-on. Cependant, comme on estimait que les artistes qui faisaient partie de l’Académie étaient les plus habiles parmi leurs contemporains, ne s’adresser qu’à eux marquait déjà un choix. C’était un privilège qui valait un concours, car on assurait ainsi à ceux qu’on appelait des maîtres l’honneur de donner des modèles à la France, et de contribuer à la bonne direction des arts. La première exposition des œuvres de l’Académie de peinture eut lieu en plein air, dans la cour du Palais-Royal, l’an 1673. Bientôt les tableaux furent placés dans les galeries. En 1699, Mansard obtint du roi le salon du Louvre, qui resta depuis affecté à cet usage. Les trois Salons de Diderot nous apprennent quelle popularité s’attachait aux expositions du XVIIIe siècle. Elles étaient déjà l’objet des licences de la presse : on en a pour preuve le pamphlet que Daudet de Jossan publia sous le titre de Lettre de M. Raphaël, peintre d’enseignes, à M. Jérosme, son ami, râpeur de tabac et riboteur, pamphlet qui émut l’Académie, et qu’elle fit d’abord saisir; mais Cochin, son secrétaire, fut mieux inspiré en acceptant la plaisanterie, en répondant avec esprit, dans un temps où l’esprit menait le monde, et il sut mettre les rieurs de son côté par la Réponse de M. Jérosme, râpeur de tabac, à M. Raphaël[1].

Quant aux prix décennaux, il n’est pas équitable de les condamner après une seule expérience. Les nouveautés, même quand elles sont louables, veulent du temps pour passer dans les mœurs d’un peuple. Un premier essai étonne tout le monde et jette plus de trouble que d’émulation parmi les artistes; il faut qu’il se répète régulièrement pour qu’on puisse reconnaître si les résultats seront salutaires ou funestes. Le seul tort du concours de 1727 fut de n’être point

  1. Voyez l’ouvrage de M. Le comte de Laborde intitulé De l’Union des Arts et de l’Industrie, tome Ier, p. 213.