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ganisation militaire. Les rangs les plus élevés de la société, les représentans de la naissance, de l’éducation et de la richesse se rencontrent chaque jour sous les armes avec les représentans de l’industrie et même du travail manuel. Il n’y a pas d’homme si grand que n’agrandisse encore, d’après les idées des Anglais, l’honneur de porter les armes pour le service de son pays. Le prince de Galles est colonel du 21e Middlesex ; lord Palmerston, malgré ses soixante-quinze ans, s’est réuni à l’Irish rifle corps, et le duc de Cambridge commande la London rifle brigade. Les lords qui se sont mis à la tête du mouvement insistent tous les jours sur la nécessité qu’il y a d’éviter les divisions personnelles, si l’on veut affermir et propager l’institution. Le principe est que sur un champ de pratique ou de parade chaque volontaire est un gentleman ; toute distinction sociale cesse, et il ne reste plus que les distinctions militaires. La force nouvelle que vient d’enfanter l’Angleterre n’exercera-t-elle pas aussi une influence sur la politique étrangère du royaume ? La dernière circulaire de lord John Russell à propos des affaires d’Italie peut nous aider à résoudre cette question. Le mouvement, je dois le dire, s’est développé d’abord sans arrière-pensée politique, uniquement pour prêter aide et appui au gouvernement anglais dans la défense du pays. Toutefois, en écartant le danger vrai ou imaginaire de l’invasion, en montrant aux hommes d’état qu’ils avaient une nation armée derrière eux, les volontaires entendent bien fournir au gouvernement de la Grande-Bretagne le moyen de se montrer digne et ferme, quoique toujours modéré, dans ses rapports avec l’Europe. Ils disent tout haut avoir voulu épargner à leur pays l’humiliation de courtiser la force.

L’intention de cette étude était de dissiper certaines erreurs sur l’état plus ou moins désarmé de l’Angleterre. Ces erreurs, je l’avoue, ont été propagées, il y a un an, par nos voisins eux-mêmes, et ce n’est pas moi qui les blâmerai, car il en est des nations comme des hommes : elles tombent du jour où, se croyant invincibles, elles défient le sort. Si les Anglais ont eu peur, ils ne craignent plus. À supposer même que les essaims de volontaires, aidés des troupes régulières, ne réussiraient point à arrêter une armée envahissante, ni à lui fermer le chemin de Londres, il resterait une force organisée dans chaque ville et dans chaque village. La conquête éprouverait alors ce qu’a de vrai et de terrible ce mot de Juvénal, sed victis arma supersunt. J’assistais un jour à une discussion d’officiers anglais sur l’état des défenses nationales. On avait énuméré les circonstances assez improbables à l’aide desquelles le mur de bois, — demain le mur de fer[1] de la Grande-Bretagne, — pouvait être

  1. Après avoir fait d’énormes sacrifices pour renouveler dans ces derniers temps sa marine de guerre, l’Angleterre s’aperçoit, depuis l’invention des frégates de fer, qu’elle devra recommencer des dépenses encore plus considérables. Elle s’est déjà mise à l’œuvre, avec cette seule consolation que quand il s’agit de fer et de charbon, elle se retrouve sur son terrain, grâce aux richesses métallurgiques du sol.