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point de se rendre en Italie et d’aller voir, selon l’expression de lord Palmerston, comment se comportait la bouche du Vésuve, voulut, avant de partir, mettre au concours une magnifique carabine. Ses camarades tirèrent donc au sort ou plutôt à la cible pour savoir auquel d’entre eux resterait ce précieux souvenir. L’usage perpétuel des armes à feu contribuera très certainement à faire des Anglais modernes d’excellens riflemen, mais suffit-il en temps de guerre de bien viser ? Quelques officiers de l’armée anglaise en doutent encore ; ils appuient leur opinion sur ce mot de Curran, qui éteignait une chandelle à vingt ou trente pas avec la balle de son pistolet, et qui avait manqué un homme dans un duel. « Cela n’a rien d’étonnant, disait-il ; quand je tire sur une chandelle, je sais bien que la chandelle ne tirera point sur moi. » C’est aussi pour s’aguerrir contre le feu de l’ennemi que, non contens de pratiquer dans les tirs, les riflemen se livrent entre eux à des sham-fights. Les plus remarquables de ces petites guerres ont eu lieu l’été dernier, l’une à Camden-Park et l’autre à Hylands. Camden-Park, situé dans le Kent, doit son nom à un célèbre antiquaire anglais. C’était un lieu bien choisi pour le petit drame militaire qui allait se jouer ce jour-là à la grande curiosité de la foule : il embrasse une des collines crayeuses qui bondissent comme un troupeau dans le sud de l’Angleterre et la vallée qui sépare cette colline d’un petit bois, Bickley-Wood, jeté négligemment sur les pentes d’un monticule opposé. C’est dans ce bois que se tenait caché le corps d’armée qui devait entamer l’attaque. Il y a un petit ruisseau dans le centre de la vallée ; cette vallée se relève elle-même vers l’est par un brusque mouvement de terrain, et l’armée de défense occupait la hauteur qui domine en cet endroit une descente très raide, sorte de trou avec d’épais taillis et un groupe de fours à chaux. Au-dessus des collines boisées qui ondulaient vers l’ouest, on apercevait à distance les tours et le toit féerique du Palais de Cristal. Les hostilités commencèrent dès le matin, et les riflemen se tirèrent de cette difficile épreuve beaucoup mieux qu’on n’eût pu l’espérer après un apprentissage militaire de quelques mois seulement.

Mon intention n’est point de flatter les volontaires ; ils n’ont peut-être été déjà que trop complimentés par les Anglais. Aucune armée ne se montre parfaite en un moment, et il n’y a guère que Cadmus qui ait moissonné tout de suite des soldats venus à terme après avoir semé les dents du dragon. Je pourrais dire par exemple, sans crainte d’être démenti par les Anglais eux-mêmes, que la plupart des officiers ne sont point encore à la hauteur de leurs fonctions. Il faut plus de temps pour faire un chef que pour faire un soldat, il faut surtout des études militaires qui ne s’acquièrent point par les mêmes moyens. Quoi qu’il en soit, il y a là le noyau d’une grande force, et