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« Mieux vaudrait, leur dit-il, pour la sûreté de l’Angleterre, avoir vingt mille hommes qui sussent viser à coup sûr que deux cent mille en état seulement de tirer de leurs armes un parti médiocre. Se reposer sur le nombre et non sur l’adresse, c’est s’appuyer sur une corde de sable. » J’avais cru jusque-là que les chasseurs et les hommes accoutumés à la pratique de la carabine avaient un avantage sur les autres : c’est une erreur dont je fus obligé de revenir. Les professeurs de Hythe préfèrent celui qui n’a jamais tiré un coup de fusil à ceux qui ont contracté dans l’usage de l’arme de mauvaises habitudes dont ils ont ensuite toutes les peines du monde à se défaire. L’instruction distribuée à Hythe se propose surtout d’élever l’intelligence du soldat. Grâce à l’introduction de la carabine, ce dernier doit se considérer désormais comme une individualité et non plus comme une machine. La sûreté du coup d’œil et la fermeté de la main sont, d’après l’avis du général Hay, des qualités encore plus nécessaires aux libres riflemen qu’aux soldats de l’armée régulière. Les volontaires ne doivent être risqués en pleine campagne qu’à une longue distance de l’ennemi (quelque chose comme à 900 mètres) ; il faut donc qu’ils sachent assurer de loin à leurs coups un caractère mortel. D’excellentes leçons sur la carabine elle-même, sur les pièces qui la composent, sur les lois qui gouvernent les projectiles lancés dans l’air, couronnent le cours d’instruction théorique[1].

La pratique commence par l’exercice des positions, position drills, qui dure environ une semaine. Les chefs de l’école attachent la plus grande importance à cette manœuvre, qui est la base de tout le système. Non content de dresser le corps à la position voulue et d’affermir la main, on fait pour ainsi dire l’éducation du coup d’œil. Quel endroit se prête mieux à cela que la ville de Hythe ? Les murs des casernes sont en quelque sorte grêlés de points noirs (on dirait, selon l’expression des Anglais, des murs qui ont eu la petite vérole), et le rayon visuel doit s’y attacher avec précision. Quand ils ont appris à se tenir, à juger les distances, à viser et à tirer à blanc, les volontaires se dirigent vers les shingles avec des cartouches et des balles dans leurs gibernes. C’est le grand jour d’émotion, car le tir aux cibles va commencer. D’abord tous les novices sont dans la troisième classe. La première épreuve n’a rien de trop rigoureux, étant celle où les distances se trouvent le plus rapprochées. Tous pourtant n’en sortent point avec honneur. Ceux qui n’ont pas gagné les quinze points exigés pour passer dans la seconde classe forment un groupe assez mortifié. Je dois dire que ces hommes, désignés

  1. A propos de l’école de mousqueterie, je ne dois point oublier le colonel Witford, qui, par des lectures fort applaudies à Hythe, à Londres et ailleurs, a puissamment contribué à répandre la science des armes à feu.