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le nom du Puits-Romain (Roman Well). Il m’avait aussi fait voir le camp romain, un terrain rond, entouré d’un fossé assez profond où croissent maintenant d’assez grands arbres. Les traces de l’ancien castrum me semblèrent, je l’avoue, passablement effacées ; mais mon guide était si instruit et se montrait si convaincu du fait que j’aurais été au désespoir de contrarier sa science d’antiquaire. « La preuve, me dit-il, est que César, dans ses Commentaires, parle d’un camp que ses soldats avaient établi dans le voisinage de la Tamise. » Pourquoi ce camp ne serait-il pas, après tout, celui de Wimbledon ? L’idée de César et de l’invasion de l’Angleterre par les Romains nous ramena naturellement au programme de la journée, au shooting contest, dont l’intention bien avouée était de fermer à jamais le sol de la Grande-Bretagne devant les progrès d’une armée étrangère. Déjà en effet la sombre bruyère commençait à se couvrir d’un océan de têtes.

La foule pouvait se diviser en deux courans bien distincts, celui des piétons et celui des voitures. Je ne crois pas que nulle part ailleurs qu’en Angleterre on rencontrerait un si grand nombre de véhicules et de chevaux réunis sur un même point. Il semblait que chaque ferme, chaque villa et tous les châteaux des environs eussent fourni leurs attelages et leurs moyens de transport d’une forme élégante ou rustique. L’aristocratie, attirée par la nouveauté du spectacle et par la présence de la reine, accourait de tous côtés pour lui faire cortège. Je n’avais jamais vu un tel luxe de jolies femmes, car plus on s’élève vers le sommet de l’échelle sociale, et plus dans la race anglo-saxonne on rencontre la beauté. Le terrain de la lutte était enclos d’une barrière de planches dans laquelle on avait pratiqué quatre entrées, une pour le public, une pour la reine et deux pour les voitures. Ayant payé notre shilling (ce qui faisait bien un peu murmurer à la ronde), nous fûmes introduits dans l’enceinte, — la fauve bruyère où flottaient des bannières de toutes couleurs, et que bordait une frange de tentes. Parmi ces tentes se distinguait naturellement celle de la reine, à laquelle conduisait une route tracée et sablée tout exprès à travers les ronces du common : c’était un pavillon d’un goût exquis, avec un dais richement tapissé en rouge et entouré de fleurs précieuses qu’avait fournies un amateur de l’endroit. En face de nous s’élevaient à distance les huttes, monticules de terre jaunâtre, qui ont, m’a-t-on assuré, douze pieds de haut sur vingt-cinq ou trente de large, mais qui, diminuées par les lois de la perspective, ressemblaient à des mottes de sable construites par la main d’un enfant. Derrière ce premier rang de buttes, séparées les unes des autres par d’assez grands intervalles, s’en dessinaient d’autres encore plus éloignées. Sur le devant de ces ouvrages de terre étaient placées les cibles (targets) : c’étaient des plaques de