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gueur d’un cheval en arrière de ses camarades dans la défense de son pays. »

Quand on songe que cette lutte contre un ennemi formidable, qu’on croyait rencontrer partout et qui ne se montrait nulle part, a duré plus de dix années sans se ralentir, on ne saurait avoir qu’une grande idée de l’énergie et de la persistance de la race anglo-saxonne. La défense ne faisait même que s’accroître de jour en jour, d’année en année. Une proclamation de Bonaparte qui circula dans tout le royaume-uni jeta encore de la poudre sur le feu[1]. Elle fut reçue par l’Angleterre comme l’avait été par la France le manifeste du duc de Brunswick en 1793 : un cri d’exécration et le cliquetis des armes y répondirent au-delà du détroit. Le duc de Cornwall avait demandé mille hommes au district des mines ; la sombre et hardie population des Cornouailles en fournit cinq mille. En offrant leurs services, ils s’engagèrent tous, par une déclaration solennelle, à ne jamais quitter le poste qui leur serait assigné dans l’action tant qu’un seul soldat français sous les armes se trouverait à portée de leurs fusils. Dans le comté de Northumberland, une lady remarquable par son rang et par sa beauté présenta une paire de drapeaux à un régiment de volontaires. Le jeune porte-enseigne lui dit avec une concision toute britannique : « Je reçois vos couleurs avec joie, je les défendrai avec courage, et quand les balles auront arraché toute la vieille soie, je vous rapporterai le bâton. » La ville de Londres ne resta pas en arrière du mouvement : dans un temps où la population était au-dessous d’un million, il se forma trente-cinq corps de volontaires qui comprenaient plus de 40,000 hommes. Un Anglais de mes amis conserve encore comme relique un vieux tambour qui a battu la charge à la tête d’un de ces régimens. On ne voyait dans la ville et autour des murs de la ville que parades, manœuvres, escarmouches, petites guerres. Le district de Londres

  1. Je n’ai aucun moyen de m’assurer si cette proclamation, qui, d’après les Anglais, était sur le point d’être imprimée à Paris, et qui devait accompagner l’invasion, a jamais été écrite par la main de l’empereur. À tout hasard je la traduis, d’abord parce qu’elle fut considérée alors comme authentique dans toute la Grande-Bretagne, ensuite parce qu’elle contribua puissamment à exciter un mouvement national que je me contente de décrire en simple historien des faits. « Soldats, disait cet ordre du jour, nous avons passé la mer ! Les barrières de la nature ont cédé au génie et à la fortune de la France. La hautaine Angleterre gémit sous le joug de ses conquérans. Londres est devant vous ! — Le Pérou de l’ancien monde est votre proie ; dans vingt jours (il n’y avait pas alors de chemins de fer), je planterai le drapeau tricolore sur les murs de son exécrable Tour. En avant ! Villes, champs, provisions, bétail, or, argent, femmes, je vous abandonne tout. Occupez ces nobles manoirs, ces fermes riantes. Une impure race, réprouvée du ciel, qui a osé se déclarer l’ennemie de Bonaparte, va expier ses crimes et disparaître de la surface de la terre. Oui, je vous jure que nous serons terribles !
    « BONAPARTE. »