Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/523

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mière inattendue sur ces temps de corruption, que ne pouvait dominer entièrement le génie de William Pitt, sur les faiblesses de la cour, sur la juste impopularité du prince de Galles, sur le faux système stratégique de David Dundas et de ses créatures, sur le triste état de l’armée, dont le roi s’obstinait à garder le monopole, sur l’incapacité des généraux et des officiers, qui devaient presque tous leur élévation à la faveur, sur l’indiscipline et les désordres des soldats, devenus pour tout le monde, excepté pour l’ennemi, un objet d’alarme et d’épouvante. C’est au milieu de ces causes d’affaiblissement qu’en 1796 une flotte française, commandée par l’amiral de Galle, fit voile du port de Brest vers les côtes de l’Irlande, portant avec elle le général Hoche et quinze mille hommes. De furieux coups de vent (on était alors en décembre) dispersèrent les vaisseaux, et une partie seulement de l’expédition atteignit Bantry-Bay. À l’entreprise ainsi traversée par les colères du ciel et de l’Océan, il manquait au point de rendez-vous le navire sur lequel était monté Hoche. Celui-ci, après avoir lutté plusieurs jours contre la tempête et le brouillard, regagna les côtes de la France, où il trouva le reste de la flotte, qui était revenue avant lui, non sans avoir tenté une descente en Irlande. Parmi les vaisseaux, les uns avaient manqué de faire naufrage contre les bancs de sable, les autres avaient couru le risque de tomber aux mains de l’ennemi. Les Irlandais, sur lesquels on comptait pour aider le débarquement, ne s’étaient montrés nulle part. La tentative, quoique malheureuse, n’avait pourtant point tellement échoué qu’on ne pût accuser de cet insuccès l’intraitable caprice des élémens, et qu’on ne gardât des espérances pour l’avenir. Un fait était du moins acquis, c’est que, grâce peut-être à l’incurie du gouvernement d’alors, une force de quinze mille Français avait pu sillonner les mers et atteindre les rivages d’une île britannique sans être vue ni contrariée en chemin par les croisières anglaises.

En 1798 (deux ans après), l’insurrection irlandaise avait éclaté. S’il faut en croire lord Cornwallis, « la violence des hommes au pouvoir et le caractère religieux qu’ils avaient eu la folie d’imprimer à la guerre contre les rebelles ajoutèrent encore à la férocité des troupes anglaises, et rendirent plus difficile tout essai de réconciliation. » Un tel état de choses était bien de nature à renouveler des projets d’invasion qui, de la part de la France, n’avaient point été abandonnés malgré le dernier échec. Le 22 août de la même année (1798), trois frégates se glissèrent sous les couleurs anglaises dans la baie de Killala. Elles jetèrent l’ancre, et, comme l’ancien cheval de Troie, elles ne tardèrent point à accoucher d’une force armée. On vit descendre à terre onze cents soldats français, qui, commandés par le général Humbert, s’emparèrent de Killala presque sans résistance, et établirent leur quartier-général dans le palais de l’évêque