M. Giuglini l’année dernière, est déjà parti pour La Havane. Pour nous consoler de cette perte, qui n’en est pas une, le Théâtre-Italien a repris, le 30 octobre, l’adorable chef-d’œuvre de Cimarosa, il Malrimonio segreto. Voilà de la musique jeune, éternellement jeune ! Le jour où cet ensemble exquis de grâce, de sentiment et de gaieté sereine, de cette gaieté qui s’élève comme une aurore de l’âme satisfaite, et non pas celle qui jaillit de la malice de l’esprit, le jour où cette simple histoire d’une famille honnête que trouble momentanément un amour printanier et discret ne sera plus comprise que par quelques amateurs attardés, une triste révolution se sera accomplie dans l’art musical et dans l’ordre moral. Nous n’en sommes pas encore là. Dieu merci ! Chanté par MM. Zucchini et Badiali, Mmes Alboni, Penco et Battu, qui s’est chargée du rôle d’Elisetta, le Mariage secret a été accueilli avec faveur. L’Alboni est charmante dans le personnage de Fidalma, auquel elle a restitué un air délicieux qu’on ne chantait plus depuis longtemps :
È vero che in casa
Io son la padrona.
elle le dit avec esprit et une douce ironie qui sied à sa bonne figure souriante et épanouie. Deux autres morceaux ont été réintégrés dans la partition de Cimarosa, un trio et un air d’Elisetta, que Mlle Battu chante avec
goût, et dont je ne hais pas, au contraire, les formes un peu vieillies. Mais
quel triste Paolino que M. Gardoni ! Quel malaise on éprouve à lui entendre
estropier l’air incomparable de Pria che spunti in ciel l’aurora ! Il en passe
la moitié ; que ne le supprime-t-il tout entier, comme on supprime le duo
pour basse et ténor : Signor„ deh ! concedette, entre le comte et Paolino !
Mme Penco, qui étudie beaucoup, qui s’efforce, depuis qu’elle est à Paris,
de mériter de plus en plus la faveur des dilettanti, est fort bien dans le
rôle de Carolina, dont elle fait ressortir la partie tendre et l’indignation
honnête. Elle chante surtout le beau récitatif du cantabile du second acte
avec ampleur et un style élevé. À tout prendre, l’exécution du Matrimonio segreto a été suffisante, et le chef-d’œuvre de Cimarosa, qui en a fait bien
d’autres, a produit un heureux effet. L’administration du Théâtre-Italien,
plus vigilante et plus active qu’elle ne l’a jamais été, est revenue cette année à ses vieilles amours en rengageant M. Mario et M. Ronconi, d’antichissima memoria. Ils ont fait tous deux leur réapparition, le 4 novembre, dans
il Barbiere di Siviglia. La surprise du public nombreux qui remplissait ce
jour-là la salle Ventadour a été plus grande que l’émerveillement. On a
trouvé M. Mario plus jeune de visage que de talent, et sa voix, qui jadis aurait attendri les monstres, plus entamée que jamais. Il ne possède plus que
quelques notes du beau clavier qui nous a charmés pendant tant d’années. Il
raccourcit presque tous les morceaux, il respire à chaque syllabe, et ne
chante pas souvent juste. M. Ronconi, qu’on n’a pas entendu à Paris depuis
dix ans, a voulu compenser ce qu’il a perdu par un excès de zèle, et dans
le rôle de Figaro il a dépassé les limites du vrai comique pour tomber dans
le burlesque. Le public s’est montré peu touché des efforts de MM. Mario
et Ronconi pour remplacer la musique de Rossini par un dialogue trop vif