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couronnés de succès ! Que Paris s’amuse, qu’il soit plus que jamais le rendez-vous de la haute société européenne, la capitale de la sociabilité et des loisirs délicats, que les arts de la paix y évoquent tous leurs prestiges bienfaisans et conjurent le mauvais vouloir du génie de la discorde, qui, sous le faux prétexte d’un prétendu équilibre européen, œuvre artificielle de la diplomatie ennemie de la France, voudrait mettre obstacle à l’émancipation d’un peuple malheureux qui a tant fait pour la civilisation du monde! Qu’on laisse la terre féconde qui a produit Palestrina, Scarlatti, Jomelli, Cimarosa, Paisiello, Rossini, Bellini et aussi Marcello et Galuppi, revenir à la vie politique dont elle est si digne; que l’Italie, qu’un pape du XVIe siècle, Paul IV, je crois, comparait à une lyre à quatre cordes qu’on ne pouvait jamais faire vibrer ensemble, soit enfin une nation, et l’Europe aura une force de plus à opposer à la barbarie orientale, qu’il est bien temps de contenir.

Le Théâtre-Italien a inauguré la saison le 2 octobre par la Somnambula de Bellini, ce charmant oiseau de la Sicile qui serait bien heureux de savoir que l’île qui lui a donné le jour appartient maintenant à la grande patrie, l’alma mater, par la tradition, par la langue et par les lois politiques. La pastorale exquise de Bellini a été chantée par les mêmes artistes qui l’ont interprétée l’année dernière, par Mlle Battu, dont la voix délicate s’est encore un peu amincie, par M. Gardoni, tenorino frileux et transi, dont les intonations douteuses inquiètent constamment l’oreille sans que le cœur s’en trouve plus ému, et par M, Angelini, qui chante le rôle du comte avec une bonne voix de basse qui semble vouloir s’éclaircir un peu. Une Mlle Vestri, qui ne faisait pas partie de la troupe de l’année dernière, s’est chargée du rôle modeste de l’albergatrice, qu’elle a conduit à bonne fin avec une voix et une facilité suffisantes pour sa condition. Quelques jours après, le 7 octobre, un nouveau ténor, M. Emilio Pancani, s’est produit pour la première fois devant le public de Paris dans le rôle de Manrico du Trovatore. On assure que M. Pancani est né à Florence et qu’il est élève d’un professeur de cette ville, nommé Romani, qui ne lui a pas appris, dans tous les cas, à vocaliser. Après s’être essayé sur le théâtre philharmonique de Vérone, en 1848, dans un opéra de M. Verdi, Macbeth. M. Pancani aurait été successivement à Vienne, à Venise, à Parme et à Naples, où il est resté pendant trois ans. M. Pancani n’est plus de la première jeunesse, car je pense bien que deux fois seize printemps doivent au moins former son âge. Vigoureusement constitué, gros et nerveux, sa physionomie mâle n’exprime pas précisément les illusions de la jeunesse. Sa voix est un ténor peu étendu qui répond à la nature robuste de sa constitution, mais dont le timbre est terni, le son mat et dépourvu de rayonnement. Il chante avec plus de vigueur dramatique que de sentiment, et son talent n’a pas plus de variété et de souplesse que M. Verdi n’en a mis dans sa musique. Si je n’avais de la répugnance à me servir de certains mots dont on abuse depuis quelque temps parce qu’ils dispensent d’une meilleure définition, je dirais volontiers que M. Pancani est un chanteur réaliste ; mais cela ne voudrait pas dire grand’chose, puisqu’on n’a jamais vu ni entendu un chanteur dramatique qui ne se servît pas de la voix que la nature lui a donnée, et qui voulût exprimer autre chose