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été proclamée dans l’étendue du monde grec, la foule accourt joyeuse et parée. Les artistes n’ont pas manqué à l’appel, et le riche Zeuxis se fait suivre par des serviteurs aux vêtemens brodés d’or. La Grèce du nord, le Péloponèse, l’Asie-Mineure, les îles, la Sicile, l’Italie méridionale envoient des milliers de visiteurs : la vallée, hier silencieuse, se remplit de mouvement et de bruit. Les luttes des athlètes n’occupent point toutes les journées; les cérémonies religieuses, les entretiens sous la tente, les récitations des poètes et des historiens laissent encore du loisir. On contemple alors les œuvres d’art récemment exposées. Les Argiens ont construit un trésor; les Athéniens ont envoyé de belles statues, Hiéron, tyran de Syracuse, des offrandes plus riches encore; Phidias vient d’achever son Jupiter, Polyclète a fait un athlète. Ici brillent les élèves de Praxitèle, plus loin les fils de Lysippe. Les écoles doriennes sont comparées aux écoles ioniennes. Les sculpteurs d’Egine l’emportent-ils sur ceux de Sycione? ceux de Sparte sur ceux de Corinthe? L’Asie-Mineure a-t-elle des artistes moins distingués que la grande Grèce? Toutes ces questions préoccupent des esprits cultivés, délicats, qui forment l’opinion et décernent aux artistes cette couronne invisible qu’on nomme la gloire. Chaque génération, chaque olympiade renouvelle l’attention publique en produisant de nouvelles œuvres. L’histoire de l’art grec est écrite tout entière par ces bronzes et ces marbres qui se sont placés les uns auprès des autres pendant des siècles, de sorte que les spectateurs des âges plus avancés peuvent embrasser d’un coup d’œil les premiers essais de l’art, ses progrès, sa perfection, ses raffinemens, sa décadence, en un mot l’ensemble imposant et à jamais incomparable du génie grec. Croit-on qu’une telle exposition ne surpasse point les efforts les plus somptueux du XIXe siècle?

Le spectacle qu’Olympie présentait, Delphes, Délos, l’isthme de Corinthe, l’Acropole d’Athènes, les temples magnifiques d’Argos, de Samos et d’Ephèse l’offraient également. C’étaient autant d’expositions permanentes qui allaient grossissant avec les années. On peut croire, au premier abord, qu’une telle réunion d’objets d’arts était l’effet des mœurs et non de la volonté. Chaque statue, dira-t-on, avait sa place, chaque tableau sa destination. Les Grecs ne concevaient point les œuvres sans le monument qu’elles devaient orner. Ils ne dépouillaient point les édifices publics et les temples, pour comparer, à un moment donné, les productions des artistes contemporains. Ils ne faisaient point ce que font les Français, qui enlèvent les plafonds du Louvre ou de l’Hôtel-de-Ville pour les appliquer sur un cadre et les dresser contre une paroi verticale. Qui ne devine comment les maîtres de l’antiquité ou de la renaissance auraient accueilli la prière d’exposer ainsi leurs plus vastes créations?