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mois d’octobre d’accord avec sa note du mois d’août, de démontrer comment à la fois le roi Victor-Emmanuel a le droit de venir en aide aux sujets du pape et du roi de Naples, et n’a pas le droit d’aller au secours des sujets de l’empereur François-Joseph en Vénétie. Tout autre homme d’état anglais que lord John Russell, moins préoccupé de faire figurer dans les événemens de ce temps-ci le précédent sacramentel de 1688, eût évité cette métaphysique, et ne fût point tombé dans d’aussi choquantes contradictions. Lord Palmerston par exemple serait allé droit au but et eût accompli simplement l’acte politique que les intérêts anglais lui prescrivaient. Derrière une gauche dépêche, il y a en effet dans cet acte un tour habile de la politique anglaise. La politique de M. de Cavour est blâmée publiquement par tous les cabinets ; à la suite de l’exemple qu’a donné la France en rappelant son ministre, Turin a été déserté par à peu près tout le corps diplomatique ; venir seul vers le Piémont, lui tendre la main et glorifier hautement devant l’opinion européenne la politique désavouée par tous les autres gouvernemens comme coupable, quel service à rendre à un état plongé dans un tel délaissement et frappé d’une réprobation si générale ! quel service bien placé surtout lorsqu’on a présent à l’esprit que cet état est en train de devenir la sixième grande puissance de l’Europe ! Il faut en convenir, c’est un coup habile, d’autant plus qu’il ne blesse point l’esprit des institutions britanniques, qu’il est conforme aux tendances générales des sympathies anglaises, et que l’Autriche a trop d’intérêt à ménager l’Angleterre pour pouvoir garder ou montrer du ressentiment à propos de cette escapade de diplomatie libérale. Ce qu’il y a de remarquable en effet dans ce flegme dédaigneux avec lequel lord John Russell lance à la face de l’Europe officielle scandalisée, mais presque obséquieuse, des principes si révolutionnaires, c’est le sentiment tranquille que le gouvernement anglais a aujourd’hui de sa force. On peut voir dans cette froide témérité la confirmation de ce que nous disions récemment de la situation dégagée et courtisée de l’Angleterre. Après la dépêche du 31 août écrire celle du 27 octobre, après avoir envoyé, le cœur plus léger, l’empereur François-Joseph à Tœplitz sous l’influence des idées qui inspiraient la première, accompagner des applaudissemens de la seconde l’entrée de Victor-Emmanuel à Naples, être la consolation de M. de Rechberg et l’orgueil de M. de Cavour, sans troubler, au contraire en redoublant les joies pacifiques de M. de Persigny, cela pourra passer pour un grand exploit dans les annales de la galanterie diplomatique. Il ne faut pas se croire médiocrement puissant pour se permettre de telles inconséquences et les accomplir avec ce sans-façon.

N’importe, c’est après le cercle russe, après le cercle français, un véritable cercle anglais tracé aussi autour de chacun des deux adversaires qui s’observent sur le Mincio et sur le Pô. Voilà le Piémont et l’Autriche tous deux condamnés par l’Europe à ne point franchir leurs limites, pétrifiés par les enchanteurs dans l’immobilité de la défensive, réduits jusqu’à nou-