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qué qu’en ce temps-là la tendance de l’opinion générale, non-seulement en France, mais en Europe, en face des incidens politiques qui venaient à se produire, était de ne voir au bout que des solutions pacifiques ? M. de Persigny n’a-t-il pas observé qu’aujourd’hui au contraire l’instinct de l’opinion est de ne voir derrière les questions qui s’élèvent que des solutions guerrières ? Dans le temps dont nous parlons, il eût semblé utopique de croire à la guerre ; aujourd’hui c’est la confiance dans la paix qui a l’apparence de l’utopie. Un tel contraste n’a-t-il pas de quoi frapper les esprits réfléchis, et ne faut-il pas considérer comme un mal déplorable ce renversement de l’optique universelle qui nous fait voir la guerre là où nous étions accoutumés à ne voir que la paix ? Un phénomène si extraordinaire et si regrettable doit avoir une cause profonde dans les choses mêmes ; c’est là qu’il appartient aux esprits élevés de la rechercher sans animosité contre les personnes et en se dégageant des préjugés de partis, de même que c’est aussi dans les choses que l’on doit chercher le remède, et non dans le spécifique impuissant des élans de la conscience et des protestations de la parole. Quant à nous, plus nous avançons dans la marche des faits contemporains, et plus clairement nous voyons se manifester la cause du mal que nous déplorons. Nous croyons que pour la France, comme pour les autres nations, la préoccupation exclusive des questions de politique extérieure est pernicieuse. Quand un peuple se met à faire de la politique étrangère avec toutes ses passions, toute son ambition et toute son imagination, comment la guerre ne viendrait-elle pas couvrir pour les uns comme un attrait, pour les autres comme un souci et une crainte, le fond de toutes les perspectives ? Quand une nation aussi puissante que la nôtre concentre sur la politique extérieure la plus grande part de son activité morale, comment tous les peuples de l’Europe pourraient-ils détourner de cet objet leur attention et leur anxiété ? L’intérêt de la paix générale et de cette quiétude des esprits à laquelle songe évidemment M. de Persigny dans les honnêtes efforts qu’il fait pour ranimer la confiance réclame le retour de la vie politique de la France à un meilleur équilibre. Tout ce que nous regagnerions d’activité politique à l’intérieur par l’extension de la liberté serait infailliblement gagné aussi par la paix et par la sécurité des esprits. La sincérité que M. de Persigny apporte dans sa prédication pacifique nous garantit qu’il arrivera tôt ou tard sur ce point à la même conclusion que nous. L’amour intelligent de la paix doit faire de lui un partisan raisonnable de la liberté. Il serait digne d’un homme qui, comme lui, a, dans sa vie politique, beaucoup osé et fait beaucoup, d’appliquer dans cette direction l’initiative de son esprit et la consistance de ses opinions.

Nous pourrons passer auprès de certaines gens pour des utopistes de liberté, comme nous sommes pour d’autres des utopistes de paix ; mais nous ne voyons pas pourquoi, la destinée de l’un de ces biens nous paraissant liée à la destinée de l’autre, nous refoulerions en nous l’espérance libérale au