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du XVIIIe siècle. En s’y développant dans toute sa plénitude, l’élément féodal n’avait été vicié dans cette contrée, comme nous l’avons dit, ni par le fait primordial de la conquête, ni par les antipathies héréditaires que celle-ci avait ailleurs suscitées. Les terres étaient venues s’enlacer comme d’elles-mêmes dans le puissant réseau dont la première maille se rattachait au trône ducal, et de la possession territoriale avait découlé, avec le devoir de s’armer à la semonce du souverain, le droit corrélatif de voter les subsides, de concourir au gouvernement et de distribuer la justice aux peuples. Les états, quelquefois aussi appelés parlemens, avaient affecté en Bretagne, sous la première dynastie royale, des formes très diverses; mais depuis les célèbres assises du duc Alain Fergent, tenues à l’ouverture du XIIe siècle, l’on peut suivre, sans la perdre jamais de vue, la trace de l’action exercée par la représentation nationale du duché sur tous les événemens de quelque importance.

Cette représentation était la vivante image de l’état territorial lui-même. Elle se composa d’abord des hauts barons et des seigneurs bannerets, vassaux directs des ducs, car ce fut seulement au XVIe siècle, après la réunion de la province à la France et par l’influence des idées françaises, que les états de Bretagne s’ouvrirent à l’universalité des gentilshommes, révolution éclatante qui attestait le triomphe du droit personnel sur le droit de propriété, la déplorable victoire de l’esprit de caste sur l’esprit vraiment aristocratique. Aux barons représentans de leurs propres vassaux venaient se joindre les neuf évêques et les nombreux abbés de la province, qui, s’ils avaient pris d’abord séance à titre de feudataires terriens, finirent bientôt par former dans l’état un ordre distinct qui eut le pas sur les deux autres. Dans le cours du XIVe siècle, des faits nouveaux provoquèrent des applications logiques plus étendues de ce qu’il faudrait appeler l’idée-mère du droit public au moyen âge. S’il avait fallu le consentement des seigneurs pour imposer leurs terres et leurs hommes, il parut naturel en effet, pour ne pas dire nécessaire, de réclamer celui des bourgeois afin d’imposer dans les villes les valeurs mobilières, qui se développaient chaque jour par les progrès de l’industrie, surtout par ceux du commerce maritime, dont l’extension avait fait déjà de Nantes et de Saint-Malo des cités de premier ordre. Trente-neuf villes conquirent de la sorte le droit de comparaître, par un ou plusieurs députés, aux grandes assises de la nation, ordinairement convoquées par les ducs à Rennes, à Vannes, à Redon ou à Nantes. Là, les trois ordres délibéraient en commun, quoique l’assentiment formel de chacun d’eux fût réputé nécessaire pour constituer une résolution souveraine.

Écrire l’histoire des états de Bretagne, ce serait donc, comme