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soriale, où le droit demeura toujours obscur et dont l’issue resta si longtemps incertaine, constitue sans doute l’un de ces magnifiques épisodes qui abondent dans l’histoire de notre péninsule; mais l’on n’y saurait trouver l’une de ces questions nationales qui font palpiter un peuple en mettant en saillie sa physionomie et ses passions. Le nom de Du Guesclin, celui de cette grande comtesse de Montfort, héroïne que Plutarque aurait disputée à Froissart et que celui- ci nous représente « chevauchant par les rues de ses villes, faisant mieux son devoir de tête et de main qu’aucun de ses chevaliers ou hommes d’armes[1] ; » les souvenirs du chêne de Mi-Voie arrosé du sang des trente; ces grands coups d’épée, ces villes vaillamment défendues par des femmes, ces haines héréditaires des Clisson que les pères transmettent avec leur sang et les mères avec leur lait; l’éclat d’une lutte où viennent combattre un roi de France, un roi d’Angleterre, un prince de Galles, un roi de Navarre, un duc de Normandie, un duc d’Athènes, un connétable de France, conduisant des légions sans cesse renouvelées de stipendiaires allemands, espagnols et génois; ce long tournoi donné sur nos landes et sur nos grèves présente à coup sûr un spectacle d’une grandeur incomparable, mais c’est en vain qu’on y chercherait une pensée nationale et un intérêt breton. Une noble province est mise à sac, deux générations sont décimées, sans qu’il soit possible à l’historien ni de déterminer le droit des prétendans, ni de décider de quel côté incline le cœur de ce peuple voué par la fatalité de sa position à une destruction presque complète. La Bretagne en effet était divisée presque également entre Charles de Blois, époux de Jeanne de Penthièvre, neveu de Philippe de Valois, et Jean de Montfort, candidat de l’Angleterre, qui, malgré son origine capétienne, entretenait pour la France des sentimens de haine profonde.

Au début de la lutte, les villes, les évêques et les nobles prirent parti presque au hasard, et tant qu’elle dura, on changea si souvent de drapeau qu’il est impossible d’expliquer l’attitude des combattans par des intérêts d’une nature politique et permanente. Toutefois, si l’un des deux concurrens représentait plus spécialement la nationalité bretonne, c’était certainement le comte de Montfort, né dans le pays de père et mère indigènes, et c’était celui-là même que la haute noblesse bretonne repoussait, car l’aristocratie baroniale demeura, jusqu’à la mort de Charles de Blois, l’appui le plus solide du parti français. C’est que dès cette époque les perspectives poursuivies par quelques grandes maisons d’une importance quasi-princière liaient celles-ci à la cause du roi suzerain, leur protecteur tou-

  1. Chroniques de sire Jean Froissart, liv. Ier, ch. 175.